17Dissonant Nation, Young Michelin, Oh! Tiger Mountain, Nasser… La scène rock marseillaise existe enfin mais doit lutter pour se faire une place au soleil. Article extrait de notre numéro spécial consacré à Marseille et sa région, en vente depuis le 27/04.
On a d’abord cru qu’on nous faisait le coup de la sardine. Un pastis à la main, Fred, ancien chanteur d’Aston Villa et actuel manager des Dissonant Nation, un des nouveaux groupes rock marseillais qui monte, lâche la bombe : le premier vinyle rock en France aurait été enregistré à Marseille dans les années 50. “Enfin, je suis pas sûr, c’est ce qui se raconte”, dit-il, sourire aux lèvres. Le rock serait né ici ? Ça ressemble à une légende assez grosse pour boucher l’entrée du port.
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Urbaine, influencée par les rythmes et mélodies du monde arabe et du Moyen-Orient, Marseille n’a jamais été très rock. Pourtant, depuis deux ou trois ans, la ville charrie jusqu’aux bureaux des rédactions de jeunes groupes pop, rock, soul accomplis, nourris au Velvet, aux Smiths ou aux Pixies. Ils chantent en anglais, s’appellent Young Michelin, Oh! Tiger Mountain, Dissonant Nation ou encore Nasser. Formé par trois trentenaires issus de la pub, Nasser est la tête de pont de ce qu’on pourrait appeler la “nouvelle scène marseillaise”. Le groupe, qui vient de sortir son premier album intitulé #4, croisant guitares et samplers mais dans une énergie toujours très rock, est de tous les festivals de l’été.
Pourtant, l’élan n’est pas forcément parti de Marseille comme l’explique Nicolas, l’un des membres barbichu du trio : “Au départ, le milieu un peu underground n’a pas voulu entendre parler de nous. Quand tu es marseillais à Marseille, les gens te trouvent un peu moins intéressants que la moyenne, c’est un truc qu’on s’inflige, je ne sais pas pourquoi. Rapidement, on est partis jouer ailleurs : à Lyon, à Paris, en Suisse. C’est quand les salles d’ici ont vu qu’on s’exportait dans d’autres coins qu’on nous a proposé de rejouer à Marseille. Mais jamais nous n’avons accepté de jouer dans les salles qui nous avaient snobés.” Pas rancunier, le groupe se réjouit pourtant de l’arrivée d’une scène fraîche : “Je crois que la scène hip-hop a vécu à Marseille, elle s’est épuisée avec les années. La scène electro aussi a pris un coup avec le retour du live. Les gens voulaient peut-être revoir des mecs suer plutôt que des types derrière leurs platines. Et quoi de mieux qu’un type qui frappe sur une batterie ou un autre qui est au micro avec sa guitare. On est arrivés au bon moment”, sourit Nicolas.
Leader des Young Michelin, un quintet pop-surf qui a récemment remporté le concours Inrocks CQFD, Romain, nous donne rendez-vous à la Friche de La Belle de Mai. Un lieu de création et de diffusion qui accueille des concerts (Poni Hoax, Sébastien Tellier…), des artistes en résidence, des studios de danse, de théâtre, ou encore les locaux de Radio Grenouille. A son arrivée, il y a dix ans, la ville ressemblait a un désert rock. “Je n’ai trouvé aucune scène à laquelle me raccrocher. C’était les années French Touch, très house. Je faisais de la musique dans mon coin, tout seul, notamment sous le nom de Dondolo. Aujourd’hui, le revival rock d’il y a six, sept ans s’est diffusé. Regarde comment les gens se fringuent.” On ne peut qu’acquiescer en croisant les jeunes de 17-18 ans en jean slim et en perfecto qui zonent près du cours Julien ou s’affairent au-dessus des bacs à vinyles chez le disquaire Lollipop. Pour autant, Romain hésite à parler de scène. “Pour moi, explique-t-il, une scène c’est des gens qui partagent des affinités musicales. Ici, je n’ai pas cette sensation. Il n’existe pas beaucoup d’échanges entre les groupes. C’est plutôt chacun dans son coin.”
Un sentiment que ne partage pas Mathieu, fondateur de Oh! Tiger Mountain (photo), projet solo devenu duo, que l’on retrouve dans un café de la Plaine. Un jeune homme au look sobre et dandy, à l’anglaise (boots, jean, foulard en soie), qui joue un rock soul aux accents déchirants, sous influence US. Le soir même, avec son acolyte, il joue en première partie de Cocoon à Avignon. Lui croit dur comme fer en l’existence d’une scène phocéenne. Il a créé un petit label, Microphone Recordings, avec son acolyte Kid Francescoli. “Une scène, ça se décide, ça se crée. En tout cas, avec Kid, on a décidé qu’il y en avait une. Je suis allé voir tous les groupes du coin. Je leur ai dit qu’on faisait un collectif, un label qui fonctionnerait un peu comme une coopérative.” Ils ont sorti le premier album de Kid Francescoli et s’apprêtent à en sortir un vinyle qui comportera aussi sur la face A des titres de Johnny Hawaii, “un groupe dans la lignée de Panda Bear” et de The Performers, “un mec enfermé dans sa piaule qui produit une musique planante et panoramique à la Air”. Sur la face B, un boeuf géant des cinq groupes.
A Marseille, pas de Noir Désir, de Starshooter ou de Marquis De Sade. Pas de figure tutélaire pour montrer la voie et baliser le terrain. Rockeur marseillais ? L’appellation a longtemps fait sourire. “On subissait beaucoup le côté folklorique, OM, pastis”, se souvient Stéphane, guitariste des Neurotic Swingers, groupe rock garage qui a connu un succès national dans les années 90, et aujourd’hui disquaire chez Lollipop, un bastion rock et garage. Un café disquaire qui accueille aussi chaque semaine des showcases avec des groupes locaux. “On avait l’impression qu’il fallait plus faire nos preuves que les autres.” “Quand tu habites à Marseille, renchérit Romain des Young Michelin, le challenge c’est d’en sortir, pas de se revendiquer d’ici.”
En sortir, parce qu’en dépit de ce sursaut de bonnes volontés, la scène rock a toujours du mal à se faire une place, et à s’engouffrer dans la brèche d’un hip-hop qui montre pourtant des signes d’essoufflement. La faute à qui ? Au soleil et à la mer, comme le suggèrent certains des groupes ? Pour Céline, de l’association In the Garage, qui organise des concerts rock ou electro ainsi qu’un excellent festival (avec cette année Etienne Jaumet, Oh! Tiger Mountain…), le problème est avant tout politique et structurel. A Marseille, les salles de concerts qui ouvrent leur programmation au rock se comptent sur les doigts d’une main : le Poste à Galène, le Cabaret Aléatoire, l’Embobineuse, la Machine à Coudre… Soit trop grandes (1 200 places), soit trop petites (100 places). “Il manque une salle de 400 places qui permette de ne pas prendre trop de risques et qu’il y ait quand même de l’ambiance”, explique-t-elle
Du coup, les tourneurs restent frileux et les têtes d’affiche qui pourraient drainer un public plus large ou créer une émulation incluent rarement Marseille dans leur tournée, par peur de ne pas remplir les salles. “Les groupes que j’aime passent rarement ici”, déplore Romain. Peu de scènes, peu de têtes d’affiche, peu de public… Difficile de sortir du cercle vicieux. “A moins que les représentants des collectivités territoriales fassent preuve de soutien notamment par le biais de subventions”, ajoute Céline. En effet, pour l’heure, on accorde plus de moyens aux musiques méditerranéennes qu’au rock. Question de culture et de sensibilité.
Pour leur festival B-side, elle et Séverine sont bénévoles et reçoivent 5 000 euros par an du conseil général. Rien à voir avec les grosses machines Babel Med Music et la Fiesta des Suds organisées par Latinissimo, qui reçoivent respectivement 350 000 et 670 000 euros de la région Paca et du conseil général des Bouchesdu- Rhône.
A ce manque de salles et d’aides vient s’ajouter un public qui n’a pas vraiment l’esprit de découverte. “Les Marseillais attendent que des instances valident avant de venir, raconte Romain de Young Michelin, que ce soit des magazines ou d’autres scènes.” Peu curieux les Marseillais ? Peu mobiles aussi. “C’est un peu la triste réalité. Mais j’ai foi en la jeune génération. Pour nous, c’est le meilleur public. Ils ont des goûts acérés, ils connaissent les Smiths, les groupes du début des années 80, ils se déplacent.” La vingtaine ou presque, les Dissonant Nation existent depuis trois ans. Originaires d’Aubagne, ils ont grandi en n’écoutant que du rock. Ils citent Bowie, My Bloody Valentine, Sonic Youth. “J’ai tout de suite accroché sur le format album”, explique Lucas, le charismatique chanteur, devenu fanatique de vinyles. Aujourd’hui, chez Lollipop, il vient d’acheter le nouveau The Kills. Energique, explosif sur scène, leur rock glam et garage fait parler de lui au niveau national. Ils écument le pays depuis un an et demi, et viennent de jouer sur la scène découverte du Printemps de Bourges. Ils sont sur le point de signer avec une major et ont arrêté leurs études pour se consacrer au groupe. “Comme on a cinq dates par mois minimum, c’était devenu dur de concilier. Et puis on veut se donner à fond.”
OK, Marseille n’a pas encore eu son Noir désir, mais en les quittant, on se dit que loin d’être une lacune, l’absence de figure rock tutélaire est peut-être la plus grande force de cette scène qui semble aujourd’hui prête à tout oser. Libre, décomplexée, confiante en son futur. Pourquoi ce nom, Dissonant Nation ? “Parce que c’est cool”, répond du tac au tac Lucas, en allumant sa clope. Comme le rock à Marseille en 2011.
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