Roger Corman était le Walt Disney du trash, fondateur du studio New World qui façonnait les films comme les Ramones enchaînaient leurs trois accords. La Cinémathèque organise une grande rétrospective de la seconde génération, celle des Paul Bartel, Jonathan Demme et autres Monte Hellman. Au programme : action, fesses, nichons. Les sempiternels trois accords pour […]
Roger Corman était le Walt Disney du trash, fondateur du studio New World qui façonnait les films comme les Ramones enchaînaient leurs trois accords. La Cinémathèque organise une grande rétrospective de la seconde génération, celle des Paul Bartel, Jonathan Demme et autres Monte Hellman. Au programme : action, fesses, nichons.
Les sempiternels trois accords pour les uns, la déclinaison de la for-mule « action, tits’n’ass » (« action, fesses et nichons ») pour les autres, plus l’urgence adolescente, l’au-toréférence, le génie des titres faussement crétins, les T-shirts Mickey et la contre-culture, le tout nappé d’une pincée de subversion, en deux prises maxi. Pas étonnant que les Ramones fussent, plutôt que Steely Dan, le (seul ?) groupe de rock invité à faire du raffut sur une production New World : entre les quatre faux frères de Coney Island et les agitateurs de la maison Corman, le courant ne pouvait que crépiter. Le film, réalisé en 1979 par Allan Arkush, surfait sur le succès de Grease en prônant sa mise à sac. Titré Rock’n’roll high school (Le Lycée des cancres), il reste un vivifiant témoignage du chahut qui animait cette atypique « école de cinéma ». Claquant la porte d’American International Pictures, Corman fonda New World en 1970 et saisit vite l’intérêt de débaucher à l’université de jeunes diplômés, vierges de toute expérience, suffisamment flexibles pour passer du poste de décorateur à celui de monteur, ou de comédien à réalisateur de seconde équipe, et prêts à se dépenser sans compter tout en dépensant et gagnant trois fois rien. Comme le reconnaît Joe Dante, « c’était le seul studio, puisque non syndiqué, où on pouvait travailler à l’époque. A l’école, une fois ton film fini, tu le montres à tes parents, tu le ranges sur une étagère et c’est tout. Ici ton film de fin d’études allait passer dans les salles, être vu par des tas de gens. C’était assez effrayant, vu les conditions de tournage particulières, très rapides et fatigantes ; alors on essayait d’oublier que ces films étaient destinés à un public. »
Corman n’avait pourtant que ça en tête, multipliant les previews, prétestant des titres sur des panels de lycéens. Rentable, un film devenait un filon, et The Student nurses, la première production du studio, mise en boîte par Stephanie Rothman pour 120 000 dollars, engendra de fait d’autres aventures d’infirmières à la blouse entrouverte, telles les Night call nurses aux oeillades godardiennes de Jonathan Kaplan ; puis le principe fut appliqué aux enseignantes, détenues, camionneurs, voire à des combinaisons particulièrement hasardeuses (infirmière-camionneur, le salaire de la paire ?). D’autres bandes, mêlant péplums et blaxploitation ou kung-fu et hôtesses de l’air, étaient parfois tellement limite que les promouvoir relevait de la gageure. C’est à ce poste que Dante, épaulé par Arkush, entamera sa conquête de New World. « Les types qui faisaient les bandes-annonces pour Corman ne comprenaient pas ce que Roger voulait et il passait son temps à les virer. Jon Davison, qui dirigeait le département publicité, m’avait vu monter The Movie orgy en 16 mm et s’est dit que je pouvais aussi bien faire ça. » Le « plan de l’hélicoptère qui explose », probablement tourné par le tâcheron philippin Cirio H. Santiago, devint un des gimmicks préférés de Dante et se retrouva inséré dans nombre de trailers, qui parfois ne comprenaient pas la moindre image du film à lancer. Tant que le cahier des charges préconisé par Corman (directs du gauche, embardées de bolides, nudité frontale jusqu’à la taille, « pas de poils pubiens ! ») était respecté, les réalisateurs avaient toute latitude, et la bénédiction du vizir, pour truffer leur travail de commentaires critiques, assertions sociopolitiques et autres types d’anamorphoses. Ainsi, sous l’influence du scénariste John Sayles et avec la contribution involontaire de l’armée (« On leur avait fait passer un script faisant l’apologie de l’uniforme, d’où la pléthore de véhicules militaires dans un film aussi fauché »), Piranhas revêt les atours d’une allégorie sur la guerre du Vietnam et d’une entreprise de dénonciation des conglomérats industriels. La Prison du viol de Michael Miller, destiné dans les Etats du Sud au marché des drive-in, précipite Valerie Solanas chez les rednecks et, en plein Spirit of ’76, se mouche dans la bannière étoilée. Déjà en 1974, Jonathan Demme dynamitait avec Cinq femmes à abattre le sous-genre « prison de femmes » pour en faire un brûlot féministe à dégoûter définitivement Jess Franco des scènes de douche lesbiennes et des matons tortionnaires, avant de signer le film de chevet de José Bové, Colère froide, qui voit le fermier Peter Fonda défendre à l’arc à flèches ses produits du terroir. Quant à Jonathan Kaplan, il dégraisse le mammouth aussi allégrement qu’il désape le corps enseignant dans The Student teachers, manifeste sexy pour un système éducatif parallèle. Mais à l’orée des années 80, il faudra déchanter. La nouvelle donne de distribution et l’avènement de la vidéo poussent Corman à brader New World, et le vivier de jeunes talents commence sérieusement à croupir. Que Ron Howard, qui fayotait déjà chez Corman en tournant en une seule journée quatre-vingt-dix plans de Lâchez les bolides !, jongle aujourd’hui avec les dollars importe peu. Que Demme se préoccupe essentiellement d’aligner les Oscars sur sa cheminée ou que Stephanie Rothman ou Michael Miller aient lâché la proie pour l’ombre est déjà plus regrettable. Seul Dante, remarquable coureur d’obstacles, n’a pas infléchi sa ligne.
Reste deux non-assujettis, réfractaires à la génuflexion. Le premier a rencontré Corman à la fin des années 50 et tourna pour lui en 1966 ses deux westerns obliques, les inestimables The Shooting et Ride in the whirlwind. C’est Monte Hellman, notre Rivette américain. Corman lui confie en 1973 la réalisation de Cockfighter, sans pour autant lui laisser la possibilité de remanier le script en profondeur. Frustration. « Pour la première fois, je me retrouvais face à un projet cadenassé. L’histoire ne m’excitait guère, je désirais surtout mettre en avant l’aspect documentaire. » Le film est acormanien au possible, Hellman étouffant le spectaculaire des combats de coqs pour se concentrer sur le personnage mutique de Frank émanation de celui de GTO déjà interprété par Warren Oates dans Two-lane blacktop et tendre vers l’abstraction. Evidemment, pour Corman, ça coince. Il ergote sur la narration erratique, greffe une séquence onirique de viol et d’accident de voiture, et rebaptise le film Born to kill, titre qui, consent-il, « voulait dire tout et n’importe quoi, mais recelait au moins un potentiel commercial ». Hellman est atterré, la relation entre les deux hommes bat de l’aile pendant un moment.
Paul Bartel n’a lui toujours pas décoléré et donne un tout autre sens au terme d' »exploitation pictures ». « Corman était un hypocrite, il se la jouait avec ses posters soixante-huitards, mais seul faire du fric l’intéressait. Ça me rendait fou et personne ne semblait s’en rendre compte, tellement ils lui étaient reconnaissants de l’opportunité de faire des films. » On doit à cet ancien compagnon de Jonas Mekas et Ed Emschwiller l’oeuvre emblématique de la New World, son fleuron le plus outrageusement hilarant, gros succès du studio par ailleurs. Death race 2000 (La Course à la mort de l’an 2000) est absolument furieux, fou du volant, l’épisode terminal des aventures de Satanas et Diabolo tel qu’on n’aurait jamais eu l’audace de le rêver tout môme. Il contient déjà tout Starship troopers combiné à l’essentiel des jeux vidéo gore, racole maquillé comme les New York Dolls et ridiculise en deux plans les chamailleries du Fight club. Chapeaux de roues et chapeau bas. Pourtant, « Corman réfutait l’aspect comédie du film. Vers la fin du tournage, il claironnait que j’avais planté le projet, gâché son potentiel pour en faire une crétinerie », peste Bartel. De son côté, Corman soutient que ce fut son idée d’y insuffler de l’humour : « Je voulais un film qui emprunte les mêmes chemins fantaisistes que Docteur Folamour. » Laissons-les s’écharper et tentons d’oublier que Tom Cruise a racheté les droits de ce monument camp pour en faire un remake (DR3000, des claques qui se perdent). Le vrai et tous les autres titres cités sont à nouveau visibles à la Cinémathèque française. Gabba gabba hey!
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