Partant d’une histoire d’adultère mouvementée mais classique, Jonathan Nossiter se livre à un jeu de miroir envoûtant. La principale qualité de ce film à part est sa forme, que ses détracteurs taxeront de maniériste, voire de chichiteuse. Mais si tous les maniéristes étaient aussi inspirés, on jetterait derechef aux oubliettes tout le cinéma socionaturaliste. D’abord, […]
Partant d’une histoire d’adultère mouvementée mais classique, Jonathan Nossiter se livre à un jeu de miroir envoûtant.
La principale qualité de ce film à part est sa forme, que ses détracteurs taxeront de maniériste, voire de chichiteuse. Mais si tous les maniéristes étaient aussi inspirés, on jetterait derechef aux oubliettes tout le cinéma socionaturaliste.
D’abord, il y a cette idée apparemment à la mode d’utiliser la vidéo numérique. Mais Nossiter, lui, n’utilise pas ce support pauvre pour ajouter un surcroît de réalisme brut, pour retrouver la fraîcheur et l’immédiateté du film d’amateur. Il fait le contraire, avec des mouvements de caméra et des cadrages très sophistiqués, un traitement de la couleur rappelant les vieux films en Technicolor délavés par le temps. Du coup, on retrouve un peu dans cette histoire d’adultère entre Américains vivant à Athènes l’ambiance de certains mélos exotiques des années 50.
Cela se complique avec un récit, un montage et un filmage diffractés qui s’apparentent au principe de la peinture op art (optical art) des sixties. Visions subjectives ou non, à travers des vitres, des claires-voies, dans des reflets de miroirs, traduisant non seulement la schizophrénie de l’histoire, mais aussi celle du personnage principal, Alec Fenton (Stellan Skarsgård), businessman déchiré entre son épouse, Marjorie (Charlotte Rampling), et sa maîtresse, Katherine (Deborah Kara Unger). A cela il faut ajouter un certain réalisme magique, la superstition récurrente du héros, obsédé par des formes géométriques, des nombres, des couleurs qui constituent une espèce de sémiologie du destin. Cela souligne également le caractère cyclique, tragique, de l’existence des personnages entraînés dans un infernal pays des merveilles (les wonders du titre) sentimentales. Voilà pourquoi on est agréablement dérouté, malmené par ce film énigmatique, qui prend à rebrousse-poil le confort discursif et linéaire des fictions occidentales.
Mais Signs & wonders n’est pas pour autant une œuvre éthérée et dandy. Le thème central de la trahison amoureuse, le jeu du chat et de la souris entre Alec et ses femmes, trouve une résonance politique dans la personne d’Andreas, un intellectuel grec, amant de Marjorie. Journaliste engagé, Andreas dénonce l’ambivalence sournoise des Etats-Unis, soutien de la dictature fasciste des colonels des années 60-70 qui le hante. Et Alec Fenton, manipulateur impérialiste de la psyché féminine, est en quelque sorte l’incarnation de cette perversité américaine. Certes, Signs & wonders n’est pas un film simple et limpide. Mais justement, avec son côté mille-feuilles, son aspect trompe-l’œil, il ravive follement le pouvoir de fascination du cinéma.