Entre mélodrame et western à suspens, ce film montre le courage d’enfants livrés à eux-mêmes. Caméra d’or méritée à Cannes. Cinéaste kurde iranien, Barman Ghobadi a été premier assistant de Kiarostami sur Le Vent nous emportera, il a joué dans Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf, et a déjà à son actif une dizaine de […]
Entre mélodrame et western à suspens, ce film montre le courage d’enfants livrés à eux-mêmes. Caméra d’or méritée à Cannes.
Cinéaste kurde iranien, Barman Ghobadi a été premier assistant de Kiarostami sur Le Vent nous emportera, il a joué dans Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf, et a déjà à son actif une dizaine de courts métrages. Un temps pour l’ivresse des chevaux, Caméra d’or 2000, est un film d’endurance et d’état d’urgence, un film épuisant, projeté à toute vitesse, dans lequel les protagonistes n’arrêtent jamais de courir d’un point à un autre, de se battre contre les éléments et la tragédie omniprésente, et sont cependant profondément concentrés sur leur objectif unique, la défense de leurs proches.
Le cœur du film : une poignée de frères et sœurs, orphelins, livrés à leur sort dans un petit village du Kurdistan iranien. Ayoub, le fils aîné qui n’a guère plus de 12-13 ans, se démène pour nourrir les siens, au milieu d’essaims d’enfants de son âge qui se battent pour n’importe quelle embauche à l’heure. Il se fait engager par des contrebandiers pour passer des cargaisons en fraude à dos de mules à la frontière irakienne. Nous sommes ici dans la logique d’une économie de survie. Mais avant tout, Ayoub veut sauver la vie menacée de son petit frère atteint d’une grave malformation physique, que seule une opération peut sauver. Pour cela, il a besoin d’une certaine somme d’argent.
Le film ne raconte que cela, la folle volonté d’un enfant tendu tout entier vers la survie de ce frère martyr, Madi, au corps atrophié par la maladie. D’ailleurs ici, tous les corps sont, à un degré divers, suppliciés. Celui de Rojine sera vendu à un Irakien en échange du financement de l’opération de Madi, les carcasses des mulets soûlés à la gnôle pour tromper le froid s’effondrent sous l’effet des charges, des coups et de l’ivresse, et celui d’Ayoub, infatigable, arpente les terres truffées de mines en état de résistance permanente. Ces enfants ne sont plus que des corps-marchandises, exploités par les adultes.
Et pourtant, sous l’amoncellement des catastrophes, aucun des cinq ne s’effondre. Chacun cherche l’autre en permanence, et chacun rive son existence à celle de Madi, devenue la condition sine qua non de la leur. Les espaces géographiques chevauchent les espaces mentaux. Les lignes d’ascension horizontales, tracées le long des montagnes enneigées par les cortèges de contrebandiers, sont autant de lignes de fuite vers la frontière, c’est-à-dire vers la guérison possible de Madi, malgré les embuscades mortelles toujours possibles.
La mise en scène de Bahman Ghobadi, à la fois nerveuse et sur la retenue, tenant du documentaire et admirablement composée, donne à ce combat intime une intensité qui nous vrille les tripes, et un caractère universel.