Bien joué et bien écrit, le premier film d’Agnès Jaoui manque de folie et déçoit par son côté consensuel, son savoir-faire prévisible. Le Goût des autres, la chose au monde la mieux partagée ? Un idéalde la réconciliation public/critique/ professionnels ? Dans les salles, l’excitation sourd à chaque projection de bande-annonce ; dansles rédactions, chacun […]
Bien joué et bien écrit, le premier film d’Agnès Jaoui manque de folie et déçoit par son côté consensuel, son savoir-faire prévisible.
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Le Goût des autres, la chose au monde la mieux partagée ? Un idéalde la réconciliation public/critique/ professionnels ? Dans les salles, l’excitation sourd à chaque projection de bande-annonce ; dansles rédactions, chacun affûte ses dithyrambes ; dans le métro, l’affiche, avec son Claude Sautet 70 en sautoir, ralentit le pas du quidam.La 25ème cérémonie des Césars à peine pliée, le suspens concernant la prochaine se voit déjà éventé. On a trouvé le nouveau mètre-étalon du cinéma français commercial et intelligent, champagne ! et chronique d’un carton plein annoncé.
Pourquoi, alors que le film cumule les atouts, mon goût fait désordre ? Pourquoi résister à ce que tous, à juste titre, loueront, à savoir la narration enlevée, la rythmique souple et l’enchaînement élégant des séquences, le fin nappage de mots d’auteur et l’injection de la mélancolie dans la comédie, le refus du monolithisme dans le trait des personnages, l’esquive de la condescendance, de la caricature, du cynisme ou du mépris, et une distribution infaillible ? Parce que justement cette faille manque, son absence m’asphyxie, le gommage de toute aspérité ne peut accrocher mon regard, aucune écharde ne vient m’aiguillonner. L’oeil tout juste aiguillé, dans une direction unique. Trop enclin à faire la fine bouche, voire mauvais coucheur ou peine à jaouir, j’assume mes travers.
Seulement, attentif à leur valeur, j’espérais du tandem Bacri-Jaoui émancipé du Pygmalion Resnais qu’il s’expose à la dissonance plutôt que d’entonner la même chanson (on la connaît), qu’il me déroute, et non plus qu’il déroule son indéniable savoir-faire et emprunte, en berline et bardé d’un gilet pare-balles (deux des personnages qui cadrent le récit sont chauffeur et garde du corps, hasard malheureux ?) une voie par trop balisée. Que, quitte à croiser dans les eaux chères à Sautet, il sache faire preuve du même toupet aventureux que Pas de scandale. Pas de ça ici. Si son personnage verse une larme à une représentation de Bérénice ou s’affuble d’une grosse moustache, Bacri, charpente emblématique, échoue toujours à prendre à rebrousse-poil le paradigme qu’il a enfanté. Rôle immuable pour technique irréprochable, qui ne parvient pas pour autant à museler le jeu délicat d’Anne Alvaro, seule porteuse, avec son bagage ruizien, de l’altérité affichée par le titre.
Sous couvert de mettre à mal les chapelles, dynamiter les coteries, faire se rencontrer privé et subventionné (métaphoriquement, le film a recours au théâtre ; au cinéma on dit auteuriste et populaire, et en politique cohabition), Agnès Jaoui, en privilégiant le recentrage et le nivellement, la chèvre et le chou ménagés, risque d’instaurer ce qu’elle désirait combattre, une nouvelle dictature du goût : le tiède de très bonne facture, qui vient de se trouver un nouvel ambassadeur.
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