Un jeudi après-midi place d’Italie, XIIIe arrondissement de Paris. Julien – dit King Ju – de Stupeflip déboule à toute allure et la tête à l’air libre dans le McDo où on lui a filé rencard. Lunettes noires, blouson en cuir porté cool, sweat à capuche bleu sans les ficelles – peut-être a-t-il ligoté une […]
Un jeudi après-midi place d’Italie, XIIIe arrondissement de Paris. Julien – dit King Ju – de Stupeflip déboule à toute allure et la tête à l’air libre dans le McDo où on lui a filé rencard. Lunettes noires, blouson en cuir porté cool, sweat à capuche bleu sans les ficelles – peut-être a-t-il ligoté une fille avec. Il traverse la salle bondée, se retourne, voit le journaliste et vient le checker virilement : « T’as changé, tu ressembles à un homme des bois. »
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Dans ce restaurant rapide, King Ju a ses habitudes.
« Le XIIIe arrondissement, c’est chez moi. J’y vis depuis trente-sept ans, je suis au-delà du dégoût. Je vois les bobos arriver à ma porte, ça me fait vomir. Je les vois rouler avec leur poussette atroce comme pour mieux me dire de m’en aller. »
En février, Stupeflip a publié son troisième album, The Hypnoflip Invasion : un acte tout aussi classe et désespéré que les précédents, peut-être un peu plus accessible, qui fait de ce groupe l’un des plus attachants de la scène française. « Je t’invite, je suis pété de thunes », dit Julien en glissant sa main à la poche. On lui dit que ça ira, alors il commande directement : « Un cheese, un Coca, s’il vous plaît », c’est rodé. Est-ce qu’il vit toujours dans cet appartement limite insalubre qui avait fait sa légende il y a dix ans, lorsqu’il recevait tour à tour les journalistes dans sa tanière pour évoquer le premier disque du Stup ? « Ah ah, oui, toujours », précise-t-il en effaçant un petit rire sec, nerveux et efficace.
King Ju prend une table où l’on s’assoit côte à côte, et parle en regardant devant lui.
« Le seul truc qui m’intéresse, c’est Booba. C’est le seul qui réinvente la langue française, qui la fait avancer, alors que les petits rockeurs, c’est nul. »
Il parle ensuite de son public, qui n’a pas déserté les rangs malgré les six ans d’écart avec le dernier disque : « C’est des petits avec des sweats et des têtes super qui hurlent ‘A bas la hiérarchie’ et qui aiment le rap, malins comme des singes, mais malins ! Des vieux aussi, carrément des 50 balais, qui aiment les concepts-albums de Pink Floyd et les Bérus aussi. Je suis fier d’agglomérer des gens comme ça. »
Il mâchouille son cheese et parle un peu de lui.
« Je suis un malgrémoi, c’est une fille de 18 ans qui a dit ça de moi un jour, j’aime bien. Je me cache alors que tout le monde se montre. Je ne suis pas un ambitieux, je trouve que l’ambition est mal placée et mal élevée chez les artistes. Pour la plupart, les artistes parlent de leur musique sur un ton que je trouve insupportable. Moi, je peux à peine écouter un morceau de mon disque, et en parler, ça n’est même pas envisageable, tu verrais ce que je dirais. »
« Vas-y, shoote-moi, on est dans du Stupeflip, là »
King Ju en a fini avec son cheese, il joue désormais avec le papier qu’il plie et déplie, puis attrape sèchement son portable. « J’ai rendez-vous avec un mec de France Info, je vais voir s’il est là. » Il file dans le bar à côté, revient bredouille. « Personne n’avait la gueule de France Info », dit-il en riant.
On lui explique qu’il va falloir faire des photos. « Tiens, et si je montrais ma gueule pour une fois. Les masques, il faut savoir couper dedans, mettre un coup de ciseau. » Il hésite, se fait prendre en photo de profil mais ça sera trop sombre. Puis il place sa capuche sur sa tête, noue son écharpe autour de sa tête et prend une pause de catcheur sous les yeux inquiets d’une dame âgée qui passe par là. Ces derniers mots seront : « Tiens, là, vas-y, shoote-moi, on est dans du Stupeflip, là. »
Pierre Siankowski
concert les 3 et 4 mai à Paris (Bataclan)
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