Fan de science-fiction et de jeux vidéo, le très geek fils de David Bowie, Duncan Jones, imagine des films de science-fiction très loin des films à gros budgets. Après le remarqué « Moon », voici « Source Code ».
Los Angeles, mars 2011. L’hôtel où l’on retrouve Duncan Jones se situe sur Doheny Drive, non loin de Beverly Hills. Une zone résidentielle huppée, où les seuls passants sont des joggeurs, des SDF et des vieilles dames avec leur chien. C’est là qu’en 1975 survivait le David Bowie transi période Station to Station. Retranché derrière une muraille de coke et de paranoïa, il hallucinait sur la fin du monde, des sorcières qui en voulaient à sa semence et les soucoupes volantes.
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Trente-six ans plus tard, le nuage radioactif de Fukushima vient de traverser le Pacifique mais les télés californiennes se montrent davantage préoccupées par le week-end pluvieux qui pointe. On n’assiste pas au retour du Thin White Duke*, mais à l’arrivée du fiston presque quadragénaire. Il a dû piquer des secrets de jeunesse à son père, à cela près qu’il ressemble à un ado aux airs de geek, look sportswear débraillé et avenant.
Jones descend de son propre nuage, celui du succès critique de son premier film, Moon (2009). L’odyssée solitaire d’un astronaute vue par un Kubrick sans folie des grandeurs ou gros budget. C’est une idée de science-fiction à la mode indé, plutôt années 70 (comme dans Abattoir 5, THX 1138 ou L’homme qui venait d’ailleurs), où le scénario et les personnages priment sur les effets spéciaux. Jones la prolonge dans Source Code.
Il aurait pu enchaîner sur un blockbuster hollywoodien. Il se contente d’un thriller, façon série B habile, où Hitchcock rencontrerait Un jour sans fin dans un train. Un soldat (Jake Gyllenhaal) se retrouve projeté huit minutes avant un attentat à la bombe pour en démasquer le responsable. Et trouver l’amour. A chaque échec, il est renvoyé ad nauseam dans le passé.
« J’aime la science-fiction parce que tout y est si ouvert, on peut y tester l’intelligence du spectateur tout en créant des personnages forts que limiterait un cadre classique comme le drame », explique-t-il.
Effectivement, la dernière partie de Source Code vire au mélodrame sur la deuxième chance tout en jouant avec son pitch – avec une pointe d’acidité dans le sirop. « La fin initiale du scénario était un peu trop romantique, je l’ai modifiée en conséquence. »
« Pour ‘Source Code’, j’ai pensé aux clips de Michel Gondry »
En parlant de changement, comment a-t-il abordé la transition entre le quasi-solipsiste Moon et Source Code avec son train rempli de passagers ? « J’essaie d’avoir l’esprit pratique à chaque fois. J’ai mené Moon à partir des limitations qui m’étaient imposées : soit un petit budget avec lequel je ne pouvais avoir qu’une équipe réduite, un tournage intégralement en studio et des maquettes à l’ancienne en guise d’effets spéciaux. Pour Source Code, la question des moyens était moins importante que celle de savoir comment travailler à chaque fois la même situation avec de subtils changements. J’ai pensé aux clips et aux films de Michel Gondry, qui jouent sur ces principes de répétition étranges : j’ai donc déconstruit le scénario en graphique pour avoir toutes les variations sous les yeux, un peu à la manière dont, je crois, il travaille. C’est devenu assez mathématique. »
Duncan Jones est un fan de science-fiction raisonné :
« Je trouve Avatar superbe, d’abord sur le plan technique. Je n’ai rien contre la 3D, mais si je devais l’utiliser, j’aurais besoin d’une bonne raison. Cela implique une logistique militaire sur le tournage, il faudrait passer des caméras traditionnelles à ces caméras 3D très lourdes à manipuler. »
On lui demande s’il a trouvé faiblard le scénario d’Avatar. Il se contente d’un clin d’oeil : « Je préfère les précédents films de James Cameron comme Aliens ou Terminator. »
Sa palette de goûts SF se veut large : « Si vous me demandez mes films préférés du genre aujourd’hui, je dirai Star Wars pour le plaisir enfantin et Les Fils de l’homme pour l’intelligence. Mais il y en a un qui est pour moi insurpassable, c’est Blade Runner. Le seul film où j’ai l’impression d’un univers cohérent, à la fois fantastique et crédible. J’aurais adoré me trouver sur le plateau de tournage. C’est en me baladant ado dans les décors de Labyrinthe que j’ai approché au plus près ce type de monde (film de marionnettes de 1986 où jouait son père – ndlr). »
Mute, premier projet au cinéma qu’il a tenté de monter bien avant Moon, porte d’ailleurs l’influence Blade Runner :
« C’est un film noir situé dans un Berlin futuriste. Le héros est muet, ce qui m’a valu pas mal de résistance de la part des financiers ou des acteurs potentiels. Je me sentais un peu comme Terry Gilliam tentant de réaliser son Don Quichotte. Je me suis aussi dit que Ridley Scott aurait du mal à boucler son film en ce moment. Aujourd’hui, l’idée est de tirer de Mute une bande dessinée qui, si elle a du succès, servira à convaincre des producteurs. »
On dirait bien que Duncan Jones partage avec papa la capacité multimédia à penser sa prochaine incarnation artistique.
« Encore un film de science-fiction, puis je passerai à un autre genre »
Question avatar, Jones lui-même a souvent fait sa mue : surnommé Zowie par Bowie dans son enfance, il décide de se faire appeler Joe (plus cool) à 12 ans puis de reprendre son nom de baptême, Duncan (plus fringant et professionnel), à 18 ans. Il étudie ensuite la philosophie, qu’il lâche pour entrer dans une école de cinéma. « Ensuite, j’ai fait de la publicité, la meilleure école pour un cinéaste : on apprend à être diplomate et à expliquer ses idées aux décideurs. »
Pour la suite de sa carrière, Jones a un plan : « Je ferai un troisième film de science-fiction sur lequel j’aurai un contrôle artistique, puis je passerai à un autre genre. » Dans tous les cas, le geek qu’on devinait chez lui – le héros de Moon seul face à un ordinateur, celui de Source Code comme un gamer aux vies infinies – devrait rester : « Je suis un pur et dur du PC, j’adore Call of Duty », dit-il en manipulant une souris et un clavier imaginaires.
« Je voudrais pouvoir faire un bon film tiré d’un jeu vidéo »
On l’interroge sur son expérience dans le milieu du jeu vidéo, où il a travaillé au début des années 2000. Il a son idée du médium et de la relation paradoxale des jeux vidéo avec les films :
« Les cinématiques de jeux à l’époque voulaient encore singer le cinéma, ‘faire film’. Je fréquente encore des personnes du milieu. Elles pensent maintenant que les jeux sont au-dessus des films. Pas seulement parce que l’industrie du jeu vidéo génère plus de bénéfices que celle du cinéma, mais parce qu’avec des jeux comme Assassin’s Creed, à l’univers tellement vaste, il est clair qu’on peut raconter des histoires qui auraient du mal à passer par un film classique. Les convergences entre les deux industries sont encore un réservoir de possibilités passionnantes. Je voudrais pouvoir m’y pencher, peut-être faire un bon film tiré d’un jeu vidéo. »
Jones est aussi un utilisateur compulsif de Twitter (@ManMadeMoon) : « Au début, c’était pour créer un buzz autour de Moon. Maintenant, je ne m’en passe plus. J’y ai même rencontré ma petite amie il y a deux ans. »
Dans la chanson Kooks (1971) dédiée à Duncan fraîchement né, David Bowie disait : « I bought you a book of rules/On what to say to people when they pick on you » (« Je t’ai acheté un livre de règles/ De quoi répliquer aux gens quand ils te harcèlent »). Leçon bien assimilée à le voir répondre au quart de tour aux questions (ou est son passé de pubard ?), même celles inévitables sur son illustre père. Il tient à dissiper les rumeurs sur sa mauvaise santé : « Il va très bien et vit à New York, je l’appelle tous les jours. »
Il parle avec affection d’un père qu’il a suivi enfant entre Londres, Berlin et la Suisse après le divorce de ses parents :
« Même si mon enfance a été atypique et nomade, mon père a tout fait pour être un parent normal. Si j’aime la science-fiction, c’est un peu sa faute. Il me lisait des histoires comme on donne des bonbons à un gosse. Quand je n’aimais pas, on passait à un autre bouquin et ça finissait toujours avec Philip K. Dick, George Orwell ou John Wyndham. »
Quand on lui suggère que Moon et Source Code semblent des appels à peine codés à Bowie pour qu’il lui fournisse Space Oddity et Station to Station comme bandes originales, Duncan Jones rit de l’idée mais est catégorique : « Je défie quiconque de faire mieux que Clint Mansell et Chris Bacon comme compositeurs sur ces deux films. Même mon père. »
Léo Soesanto
*Nom du personnage créé par David Bowie au milieu des années 70.
Source Code de Duncan Jones, avec Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan, Vera Farmiga (Fr., E.-U., 2011, 1 h 33), en salle le 20 avril
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