En disséquant la figure du bourreau, Errol Morris se fait piéger et finit par consacrer plus d’une heure à un abruti négationniste. Devant The Thin Blue Line (1988), une question, que l’on ne pourra désormais plus éluder, avait sciemment été écartée : Errol Morris est-il ou non un bon cinéaste ? Qu’importaient ses vertus purement […]
En disséquant la figure du bourreau, Errol Morris se fait piéger et finit par consacrer plus d’une heure à un abruti négationniste.
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Devant The Thin Blue Line (1988), une question, que l’on ne pourra désormais plus éluder, avait sciemment été écartée : Errol Morris est-il ou non un bon cinéaste ? Qu’importaient ses vertus purement cinématographiques puisque le film, contrepoison aux ratés de la machine judiciaire, avait été l’instrument d’un sauvetage, acquittant Randall Adams, auparavant condamné à être exécuté au Texas pour le meurtre d’un policier. Toute réserve formelle ou esthétique se voyait ainsi bafouée face à la vie préservée d’un innocent. Ce coup, qui lui conféra un statut particulier dans le domaine documentaire, Morris se doute qu’il ne pourra jamais le réitérer. Néanmoins, après un travail sur Stephen Hawking (Une brève histoire du temps, 1992), il revient arpenter le couloir de la mort pour interroger la figure du bourreau. Fred Leuchter, le Mr. Death du titre, partisan de la peine de mort, vaguement ingénieur, s’est doté d’une mission humaniste : rendre leur dignité aux exécutions en améliorant le fonctionnement des chaises électriques. Intarissable sur les perfectionnements qu’il élabore, cabotin, narcisse visiblement fasciné par la caméra, Leuchter est indéniablement un « bon client » pour Morris. Et la suspicion que l’on éprouve à son égard ne faillit pas à déteindre sur les intentions du réalisateur.
Plutôt que de se laisser happer par la logorrhée du personnage, on préférera déceler là une critique de l’institution pénitentiaire qui n’hésita pas à voir en Leuchter un expert à qui elle confiera également des études sur les systèmes d’injections létales, puis sur les chambres à gaz. L’ombre d’un spectre plane alors, qui finit par envahir tout le projet quand on apprend que Leuchter a été mandaté par les avocats d’un néonazi révisionniste pour conduire une expertise sur l’utilisation des gaz mortels dans les camps d’extermination. Les conclusions du charlatan l’amèneront à nier l’Holocauste et à s’engager publiquement dans la défense de cette thèse. Thèse que Morris, comme toute personne censée, ne saurait évidemment partager. Quelle terrible erreur pour la combattre d’avoir ainsi recours à un innocent (à prendre ici dans l’acceptation d’idiot) ! Le discours de Leuchter est celui d’un illuminé, d’un abruti terminal. Vouloir le démonter en lui consacrant une heure et demie de métrage dispense Morris de s’attaquer à des allégations autrement plus sournoises et dangereuses, dispensées par des négationnistes plus influents, et fait de ce documentaire un objet vain et équivoque, réversible dans son combat.
Le malaise ne fait que s’accroître quand Morris s’autorise de surcroît à faire de la belle image autour des camps. Le syndrome du travelling de Kapo, naguère fustigé par Rivette, refait surface et achève de discréditer l’entreprise d’un documentariste insoupçonnable idéologiquement mais pour le moins maladroit.
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