Hyperthéâtralité, hiératisme, lyrisme incandescent : le cinéma dépecé par Schroeter exsude une mortifère beauté.
Ces flammes qui ravagèrent la couche et ôtèrent la vie de la Viennoise Ingeborg Bachmann, Werner Schroeter ne pouvait, ne voulait en enrayer la propagation, déterminé à offrir son cinéma à leurs langues et à valser dans la fournaise, maître de cérémonie de sa propre immolation.
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En 91, adaptant Malina, unique roman de l’auteur, le cinéaste avait porté son art à un degré d’incandescence tel que l’on sortait de son film, et lui avec nous, le regard en lambeaux, dévasté, cramoisi. Après cette œuvre limite, le phénix peinait à renaître de ses cendres, et depuis Poussières d’amour, montré il y a quatre ans à Locarno, on était sans nouvelles de lui, suspendu aux rééditions pour pallier l’hypothétique distribution de Die Königin.
Pour le néophyte comme pour le converti, la ressortie du Roi des roses, tourné au Portugal en 84, ne saurait être négligée tant le film, qui déploie l’éventail des obsessions et figures esthétiques travaillées par Schroeter : hystérisation kitsch, hyperthéâtralité, hiératisme de la pose, outrance lyrique, passion iconolâtre et décadence , reste une expérience spectatorielle dense et éprouvante qui attise rejet autant que vénération.
D’une structure proche du palindrome (in girum imus nocte et consumimur igni pourrait en être le sous-titre), Le Roi des roses embrase d’entrée des plans que l’on retrouvera d’un rouge flamboyant dans le finale, acmé quasi insoutenable d’une représentation qui voit actes et scènes s’enchevêtrer, entremêler leurs échos sur la scène d’un artaldien théâtre de la cruauté où le temps et l’espace seraient menés au sacrifice. L’histoire du jeune homme qui délaisse sa mère pour cultiver la rose idéale, et finit par la greffer dans la chair de l’amant qu’il séquestre, importe peu tant qu’elle n’est pas soumise au scalpel de Schroeter, l’incisant pour qu’en exsude la beauté sanguinolente, fatalement et essentiellement mortifère.
Ce dépeçage, la pâture enfiévrée de ces plans, provoque une tourmente malade qui chavire nos positions, parfois jusqu’à la nausée. Maintenir son équilibre sur un fil aussi tranchant n’est pas chose aisée, la prise de risque ne saurait être l’apanage du seul metteur en scène. Mais pour qui accepte de s’abandonner, ce cinéma offre des images belles à les en arracher de l’écran pour se les tatouer à la saignée du bras.
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