Le théoricien et critique d’art Arthur Danto revient de façon obsessionnelle sur sa découverte majeure : la fin de l’art. Au risque de s’y enfermer. Lors d’une conférence donnée à New York en 1992, le grand théoricien de l’art Clement Greenberg, dont l’activité critique s’était pratiquement interrompue en 1968, fit observer que rien n’était advenu […]
Le théoricien et critique d’art Arthur Danto revient de façon obsessionnelle sur sa découverte majeure : la fin de l’art. Au risque de s’y enfermer.
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Lors d’une conférence donnée à New York en 1992, le grand théoricien de l’art Clement Greenberg, dont l’activité critique s’était pratiquement interrompue en 1968, fit observer que rien n’était advenu en art pendant trente ans, sinon le pop-art. Et quant à savoir comment ce penseur de l’abstraction et du modernisme voyait l’avenir de l’art, il répondit avec pessimisme : « La décadence ! »
Mais là où quelques sauvageons l’auraient simplement traité de vieux con, Arthur Danto vit quant à lui la confirmation de sa découverte majeure, pressentie dès 1984 : nous sommes entrés dans une autre époque, nous vivons après la fin de l’art. « Greenberg a raison : il ne s’est rien passé durant trente ans. C’est là peut-être la chose la plus importante qu’on puisse dire de l’art des trente dernières années. Mais la situation est loin d’être morne… C’est plutôt le début de la plus grande époque de liberté que l’art ait jamais connue. » Loin de rejoindre les décrieurs d’un art contemporain en crise, délétère ou décadent, loin de déplorer qu’il n’y aurait plus d’art et plus d’artistes, et qu’après la mort du cinéma, proclamée dès son invention, on allait désormais assister à la disparition définitive de tout art, Arthur Danto cherche au contraire à « prendre plaisir à la réalité post-historique », et voit s’ouvrir devant lui un nouvel âge, non narratif, où rien ne se passe mais où tout a lieu : « Tout est possible. N’importe quoi peut être de l’art. »
A sa manière, le dernier livre d’Arthur Danto est une rétrospective : dans une succession de flashs-back, l’auteur revient sans cesse, et de manière quasi obsessionnelle sur cette fin de l’art, lui assignant diverses origines, multipliant des anecdotes qui sont autant de scènes originelles et mythiques. Telle sa première rencontre avec une œuvre pop : en 1962, alors qu’il vivait à Paris, Danto fut stupéfié par la découverte, dans les pages du magazine Art News, d’un tableau de Roy Lichtenstein, The Kiss. « Je dois dire que je fus sidéré. Je fus conscient du fait qu’il s’agissait d’un moment exceptionnel et fatidique, et je compris immédiatement que si on pouvait peindre une œuvre de ce genre… alors tout était possible. Pour moi, cela signifiait que tout artiste était libre de faire ce qu’il voulait. Cela signifiait aussi que faire de l’art cessa de m’intéresser, ce qui m’amena à mettre pratiquement fin à toute activité artistique. »
Paradoxalement, Arthur Danto est aussi un formidable conteur, recomposant les deux grands récits interprétatifs qui ont organisé l’histoire de l’art de 1400 à 1960 : celui de Vasari, défenseur d’un art plus vrai que nature, et celui du très puriste Greenberg, qui demandait à l’art de se dégager de toute fonction figurative pour mieux se concentrer sur lui-même. Reste que Danto ne s’est pas entièrement remis de sa bouleversante découverte de la fin de l’art. S’il y fait retour à maintes reprises, il peine à plonger dans le gouffre libérateur qui s’est ouvert sous ses pieds, et à explorer ce nouvel âge des possibles. Sa pratique de critique d’art, très classique, assez ignorante des récentes évolutions de la création actuelle, contredit alors les vérités théoriques qu’il énonce au sujet de l’art contemporain. Certes, on ne demande pas à un vieux monsieur de 73 ans d’être le matin à Berlin et le soir à Londres, ni de courir le monde comme les nouveaux curateurs free-lance d’aujourd’hui : pour autant, partageant l’américanisme effréné et aveugle de son prédécesseur Greenberg, son regard reste étroitement circonscrit à quelques galeries et musées de New York. De même, il demeure essentiellement préoccupé par les œuvres des peintres, alors que selon ses propres dires, « la peinture avait cessé d’être le vecteur principal du développement historique, (elle) n’était plus qu’un médium parmi d’autres dans l’éventail largement ouvert des médias et pratiques qui définissent le monde de l’art : installations, performances, vidéo, art numérique… » Ultime paradoxe : proclamateur d’une nouvelle époque, Arthur Danto serait pourtant le dernier critique d’art d’avant la fin de l’art.
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