Un film noir déconstruit et onirique : encore un artiste nippon inconnu qui nous donne une leçon de poésie filmique. Sur le papier, c’est une histoire provinciale de tueur en série que n’aurait pas renié le Hitchcock de L’Ombre d’un doute. Dans le film, les choses sont bien plus estompées. Malgré une entrée en matière […]
Un film noir déconstruit et onirique : encore un artiste nippon inconnu qui nous donne une leçon de poésie filmique.
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Sur le papier, c’est une histoire provinciale de tueur en série que n’aurait pas renié le Hitchcock de L’Ombre d’un doute. Dans le film, les choses sont bien plus estompées. Malgré une entrée en matière factuelle la collision d’un train et d’un bus commentée par une froide voix off , le récit se désarticule et se dilue au fur et à mesure qu’il avance. Noir et blanc contrasté, travail inspiré sur le son et le montage, ce film irréel, proprement onirique et labyrinthique le titre ne ment pas , est ce qu’on a vu de plus impressionnant pour traduire le cheminement tortueux et erratique de la pensée. On est d’autant plus (agréablement) dérouté que ce huitième long métrage de Sogo Ishii est aux antipodes de Crazy family (1984), seule œuvre de ce cinéaste de 43 ans sortie en France (une sorte de sitcom trash sur l’autodestruction loufoque d’une famille banlieusarde). Contraint à l’inactivité pendant dix ans malgré le succès public de Crazy family, Ishii a complètement repensé son travail en repartant du cinéma classique. Dans Le Labyrinthe des rêves, les réminiscences, conscientes ou non, se bousculent, allant de l’œuvre mécaniste d’Eisenstein aux plans-séquences mizoguchiens. Un film résolument hybride donc, mais d’une grande force poétique, où les personnages sont à égalité avec leur environnement la végétation, les insectes, les véhicules, les objets. L’histoire, si tant est qu’on puisse la résumer, tourne autour d’une scène unique et récurrente : le choc fatal de l’autobus et du train. Accident ou crime ? Sous forme d’incessants ressassements visuels et mentaux, le film explore les supputations fantasmatiques d’une receveuse de bus nommée Tomiko sur la culpabilité d’un certain Niitaka, soupçonné d’avoir causé la mort de Tsukayo, une collègue de Tomiko. Lorsque Niitaka fait son apparition, au sens profane et au sens religieux car il surgit tel un dieu d’une lumière aveuglante , la jeune héroïne se sent désignée comme prochaine victime. On ne saura pas la vérité car le récit compte moins que les images obsessives qu’il génère : répétition angoissante de la traversée d’un tunnel ; surimpression de l’image d’une pince à poinçonner les billets sur un plan subjectif de forêt ; ruptures irréelles dans la bande-son ; plan-séquence figé et silencieux où Niitaka fait croire à Tomiko qu’il avale du poison… Avec son côté fantomatique, cyclique, voire sériel, ce superbe film noir illustre parfaitement l’inépuisable singularité d’un cinéma nippon ignorant les lois causales et rationnelles des fictions occidentales.
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