Reprise en copie neuve de Badlands, le film culte de Malick qui est aussi son meilleur. Une relecture poétique et “désaffectée” du road-movie criminel. Pas vu en France depuis sa première sortie en 75, la réédition de Badlands en copie neuve est un petit bonheur bienvenu et permet, après La Ligne rouge et Les Moissons […]
Reprise en copie neuve de Badlands, le film culte de Malick qui est aussi son meilleur. Une relecture poétique et « désaffectée » du road-movie criminel.
Pas vu en France depuis sa première sortie en 75, la réédition de Badlands en copie neuve est un petit bonheur bienvenu et permet, après La Ligne rouge et Les Moissons du ciel, de boucler à rebours et en une année la filmographie de Terrence Malick. Avant cette réédition essentielle, Badlands était assurément l’oeuvre culte du Texan secret, « le road-movie criminel ultime des seventies », « ce fameux film qui avait inspiré plusieurs chansons à Bruce Springsteen », celui dont on gardait le vague souvenir sépia et rayé d’une copie très usée vue dans une salle perdue de Los Angeles il y a une douzaine d’années. Maintenant, après re-vision, on sait aussi que Badlands est le meilleur Malick, du moins celui qui présente le meilleur équilibre entre l’inspiration panthéiste du cinéaste et la conformité structurante à un genre établi, entre la liberté et les règles, entre l’aventure buissonnière et un nécessaire cadre narratif.
Comme tous les grands films américains des années 70, période de rénovation suivant la fin de l’âge d’or des studios, Badlands trouve son credo esthétique dans la tension entre fidélité à l’histoire du cinéma et critique féconde. Ce n’est sans doute pas un hasard si le film s’ouvre par une séquence où des éboueurs font leur tournée des poubelles, cherchant dans les ordures quelques artefacts usagés mais bons à recycler. Pour Malick, il s’agit de conserver de la décharge du cinéma passé le cadre général du road-movie criminel tel que défini par Gun crazy ou Les Amants de la nuit, quelques à-plats de paysages infinis (comme une toile vierge où inscrire sa propre empreinte), divers accessoires vestimentaires, poses, attitudes et modèles iconiques, tous portés et assumés par le personnage masculin (les jeans, les santiags, James Dean, le métier de cowboy…). Kit Carruthers incarnerait donc ce cinéma d’avant. Beaucoup plus jeune, littéralement vierge, spectatrice au début, puis actrice à part entière et finalement greffière dépositaire de leur histoire, l’adolescente Holly Sargis serait son contrepoint moderne, la nouvelle page de cinéma à écrire : au début du film, c’est Kit le moteur de l’affaire, celui qui embraye la fiction et qui détient l’énergie du film, mais à la fin, c’est bel et bien Holly qui lui survit et qui nous transmet cette histoire.
Et en quoi consiste ce cinéma nouveau dans Badlands ? Une façon de prendre son temps, de serpenter dans les à-côtés buissonniers de la ligne scénaristique centrale, de consacrer d’étranges inserts aux insectes ou autres animaux, de ne démarrer le road-movie qu’à mi-film, après une longue introduction « smalltown » (partie qui ressemble le plus à un texte de Springsteen) et un étrange épisode « indien » (le couple réfugié dans les sous-bois vivant en autarcie à l’écart de la société, qu’elle soit wasp ou white trash). Il y a aussi ce laconisme mystérieux des personnages, leur façon d’être comme un peu absents à eux-mêmes, privés d’émotions tangibles, désaffectés : une fille laisse derrière elle son père mort sans trop de chagrin, un jeune homme commence à tuer presque par hasard, conséquence d’une simple dispute, puis le couple sème des cadavres sur sa route comme des Petit Poucet incapables de penser ou de ressentir la violence de leurs actes. Au moins autant que l’inspiration constante de Malick, tant sur le plan visuel que narratif, c’est cette violence sèche, opaque, résistant à toute forme d’explication sociologique ou psychologique qui fait toute la modernité de ce superbe portrait de l’Amérique contemporaine.
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