La plaie et le Clouseau. Le génie burlesque de Peter Sellers et Blake Edwards transforme une panthère languide en un fauve déchaîné. L’éternel retour de ce félin rose, snob et arrogant, est l’occasion de poursuivre la réévaluation d’un grand cinéaste américain, auteur d’une des meilleures comédies de l’histoire du cinéma (The Party, 1968) et de […]
La plaie et le Clouseau. Le génie burlesque de Peter Sellers et Blake Edwards transforme une panthère languide en un fauve déchaîné.
L’éternel retour de ce félin rose, snob et arrogant, est l’occasion de poursuivre la réévaluation d’un grand cinéaste américain, auteur d’une des meilleures comédies de l’histoire du cinéma (The Party, 1968) et de quelques autres réussites majeures comme Elle (Ten, 1979), Boire et déboires (Blind date, 1987) ou encore Skin deep (L’Amour est une grande aventure, 1989). Maniant élégance sophistiquée et vulgarité atroce, meilleur ennemi des chiens et des Japonais (on en trouve dans presque tous ses films), éternel mari de Julie Andrews et gentil érotomane qui se soigne sans jamais vouloir guérir, Blake Edwards n’a pas son pareil pour détraquer ses films. Si elle est loin d’être la meilleure de la série, la première Panthère rose est un exemple parfait de torsion loufoque. D’abord comédie policière un peu molle et languissante qui louche trop sur La Main au collet, avec une Claudia Cardinale adorablement indienne mais pas plus vierge que ça et un David Niven qu’on croirait déjà à la case Oury (Le Cerveau, film moyen), le faible divertissement sixties quitte ses rails chic pour gagner le haut délire quand un personnage secondaire prend le pouvoir, l’inspecteur Clouseau « de la Sûreté ». La main prise dans la chope de bière annonce la grande séquence de la chambre, où le scénario recule à vue d’oeil pour faire place à une logique burlesque que seul Edwards a su revitaliser, faisant de l’étirement absurde du gag et de son suivi dans ses conséquences les plus catastrophiques sa marque de fabrique.
Si Peter Sellers est un des très rares comédiens qui méritent d’être traités de génies, avec Michel Simon, Lino Ventura et Orson Welles, il doit autant son invention à Edwards qu’à Kubrick. Devant la caméra de son complice préféré, Sellers fait définitivement oublier les histoires de diamant et de princesse dès le deuxième épisode de la série (qui n’en était pas encore une), l’admirable A Shot in the dark. Il n’y en a plus que pour lui et le vaudeville parisien attendu se métamorphose en une avalanche de dérapages, en un vaste Cluedo mené par un dingue qui paraît ignorer le degré de son mal. Clouseau est si fort qu’il parvient à parasiter toutes les couches de la société, de la soubrette au châtelain, tout en créant à vue son double négatif, animé par la haine et le désir de mort quand lui n’est mu que par la cruelle nécessité de suivre sa pente jusqu’au précipice. Aussi laid et bistre que La Panthère rose était bien dessiné et gorgé de couleurs chatoyantes, A Shot in the dark oublie parfois de faire rire tant il est occupé à grincer des dents et à se racler la gorge. Clouseau n’est pas seulement nul, il est ailleurs. Nihiliste qui s’ignore, il n’aura de cesse de détruire un monde auquel il n’appartient pas, reproduisant ainsi la genèse d’un film qui n’avait pas prévu sa présence avant de se mettre à tourner autour de lui. Jusqu’à heurter durement les parois de la folie furieuse.
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