1896, Etats-Unis. A cette époque, la simple vue d’un baiser dans un film est susceptible de choquer les spectateurs. Lorsque “The Kiss” sort en salles, le public assiste, médusé, au premier vrai baiser du cinéma entre May Irwin et John C. Rice. L’acteur s’approche. Recule. Puis se penche et pose ses lèvres sur celles de l’actrice canadienne. […]
1896, Etats-Unis. A cette époque, la simple vue d’un baiser dans un film est susceptible de choquer les spectateurs. Lorsque « The Kiss » sort en salles, le public assiste, médusé, au premier vrai baiser du cinéma entre May Irwin et John C. Rice. L’acteur s’approche. Recule. Puis se penche et pose ses lèvres sur celles de l’actrice canadienne. « Grandeur nature », s’offusquera un quotidien de Chicago, « de telles choses sont déjà bestiales. Elargies à des dimensions gargantuesques, elles sont absolument dégoûtantes. Cela est du ressort de la police… ». Selon une chronique de France Culture, qui reprend elle-même un article des Echos, « The Kiss » est vendu à des milliers d’exemplaires et projeté dans les salles jusqu’à ce que les bobines partent en lambeaux.
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L’époque est aux films muets, âge d’or de l’érotisme selon Les Echos, lorsque seuls les corps peuvent s’exprimer. Apparaissent, entre autres, des œuvres comme « La Chair et le Diable » où Greta Garbo boit les lèvres de John Gilbert plus qu’elle ne les goûte, et « Extase« , où la tchèque Hedy Kiesler court dans les bois, nue comme un ver.
Le temps des premières lois américaines
En 1930, l’Amérique décide de légiférer sur ce qui peut être montré ou non à l’écran : le code Hays naît. Le réalisateur Howard Hugues tentera de braver cette censure trois ans durant, avant de réussir à sortir son western « Le Banni » en 1943. Dans ce récit SM de la vie amoureuse de Billy the Kid, les plans sur la poitrine de Jane Russell se font insistants.
En 1957, la cour d’appel de New York décrète que « la nudité n’est pas obscène aux yeux de la loi ». Le cinéma joue alors avec la semi-nudité de ses actrices qui, dès lors, évoluent volontiers en musique. Cyd Charisse enlace Gene Kelly d’une seule jambe dans le pas de deux de Chantons sous la pluie et Marilyn ne porte qu’un pull pour chanter que son cœur est à papa dans Le Millionnaire.
Nous sommes à l’aube des années 1960 et 70, et le corps de la femme se devine, se cherche, se dévoile par étapes. Brigitte Bardot s’interroge sur l’élégance de ses fesses dans Le Mépris (1963), le Le Dernier tango à Paris choque en raison d’une scène de sodomie où Marlon Brando utilise du beurre, « L’empire des sens » (1976) est censuré au Japon, pays du réalisateur pour ses scènes de sexe non simulées, et « Deep Throat » devient le premier blockbuster porno (1972).
Sus aux prothèses et doublures
La transgression perd son entrain dans les années 1980 (9 semaines 1/2, Quand Harry rencontre Sally) et 1990 (Basic Instinct), pour laisser place à un deuxième millénaire accueillant les prémices de l’érotisme homosexuel (Mulholland Drive, Le secret de Brokeback Mountain).
Où est donc passé la vision érotique du corps des femmes ? Elle est toujours bien présente mais les peaux s’effacent peu à peu derrière des doublures, des prothèses venues pallier la timidité des acteurs ou les exigences ultra-réalistes du cinéma contemporain (La vie d’Adèle, Antichrist, Machete, Le Loup de Wall Street…). Le sexe sans fard devient sexe de latex.
En peu de mots, soit les courbes féminines se coulent dans des scènes érotiques simulées, soit elles tendent à disparaître, comme le prouve Her de Spike Jonze, où le corps de Scarlett Johansson s’absente au profit d’une voix sucrée, celle d’une intelligence artificielle, dont le héros tombe éperdument amoureux.
» Le corps des actrices appartient au spectateur »
Dans un texte rédigé pour le catalogue des 15èmes Journées cinématographiques dionysiennes Femmes Femmes, l’écrivaine Virginie Despentes tacle pourtant une « manie de glisser la scène de nu » dans tous les films modernes.
« C’est une nudité [qui] dit plusieurs choses, bien sûr elle est là pour prouver : voyez, vous n’avez pas payé pour rien, c’est bien d’un corps de femme qu’il s’agit. […] Le corps des actrices appartient au spectateur. Si les jeunes actrices veulent travailler, il faut qu’on sache à quoi ressemblent leurs seins, leurs fesses, cuisses et ventres ».
Pour conserver la sincérité de l’apparition du corps féminin au cinéma, Virginie Despentes recommande donc au spectateur de toujours garder un œil critique. Afin de renouveler sans cesse les fantasmes érotiques qui naissent sur grand écran.
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