Voici John B. Root, un cinéaste avec une conscience. Mauvaise, collante, elle gicle tout au long d’un « essai » autobiographique intitulé Porno blues, la belle et édifiante histoire d’un réalisateur de films X : le récit d’un frustré des conventions du hard, désireux de s’en affranchir mais toujours ramené aux lois du marché. Animal triste in […]
Voici John B. Root, un cinéaste avec une conscience. Mauvaise, collante, elle gicle tout au long d’un « essai » autobiographique intitulé Porno blues, la belle et édifiante histoire d’un réalisateur de films X : le récit d’un frustré des conventions du hard, désireux de s’en affranchir mais toujours ramené aux lois du marché. Animal triste in coitum.
Notre homme, quinquagénaire immuablement en jeans-baskets, est l’auteur d’une toute petite poignée de films en quatre ans. Des vidéos d’une beauté étrange, presque refusées à l’idée de porno, à votre idée du porno : ce truc sale, qui tache les fringues et rend le réel moins bleu. Au contraire, ses films sont des expériences sur le plaisir, dont on peut se sentir proche.
Hédoniste, s’attardant longuement sur les visages, sur les corps qui se branlent, John B. Root c’est sa qualité finit, lui, par filmer des odes au plaisir où la pénétration importe moins que son Idée. Ainsi, Cyber X, son chef-d’œuvre, un film qui fait jouir les machines, plus proche de Cronenberg que de Judith Cahen ou Marc Dorcel, fut-il tourné des jours entiers dans un sauna, en espérant qu’à force de complicité les acteurs s’oublient, se noient dans le plaisir.
Pas glauque, pas amateur, pas crade dans l’esprit. Alors quoi ? Cérébral ? Intelligent-porno comme d’aucuns diraient intelligent-techno ? En fait, les gros mots ne manquent pas, les mauvaises langues allant jusqu’à postuler son incapacité à faire bander puisque les termes de sensibilité, de respect des actrices, de ludisme et d’humour sont bannis de ce que l’on est censé attendre d’un porno bon comme l’enfer. Pour d’autres revient en mémoire le spectre abominable des aseptisées productions Marc Dorcel, avec le chandelier sur le bureau, la lumière tamisée rouge bordel et le majordome quadragénaire le balai au poing.
Or, John B. Root n’est pas un réalisateur de droite. Pas de porno bourgeois chez lui. L’homme que nous rencontrons dans son studio du xie arrondissement nous parle immédiatement des photos de Nobuyoshi Araki qui ornent la couverture d’un CD de free-jazz réalisé par son meilleur ami, l’expérimental et ludique Noël Akchoté, l’homme derrière le label Rectangle, qui avait publié l’an dernier un triple vinyle d’interview des Straub. Des petits détails affolants qui vont bien avec son style.
Vus de l’extérieur, encore une fois, ce sont des pornos comme les autres, probablement mieux foutus sans doute à cause de l’argent. Le secret n’est pourtant pas là, mais dans ce regard doux et concentré que le réalisateur pose sur les scènes. En fait, lorsqu’il tourne, John B. Root est excité, totalement en phase avec son actrice. Il est fasciné et ne sait filmer que ça : sa fascination. D’autres ont su localiser leur fascination, la mettre en scène en gros plan, dans des œuvres exclusivement fétichistes, centrées (ou décentrées) sur les pieds, les femmes qui fument, les petites culottes, les collants… B. Root ne sait pas. C’est sa force notre bonheur. Son fétichisme est large, infini, reproductible : ce sont les actrices de hard. Une fascination qui a pour origine une adolescence au Moyen-Orient. John Beyrouth ? « Presque. J’ai passé mon adolescence au Caire, fasciné par les prostituées, la sensualité de l’Orient, les danseuses du ventre. C’est là que j’ai appris à aimer les femmes qui se donnent et qui rejoignent avec hauteur le regard du spectateur, du voyeur. J’aime ces allers-retours. J’ai toujours été un voyeur. J’avais exposé au Centre culturel français, l’honorable CCF, des gros plans d’anatomie de mes copines de classe, de mes professeurs aussi, sous le titre de Géographie humaine. J’ai aussi appris là à convaincre en douceur les filles à me donner l’impossible, l’interdit. J’ai découvert le cinéma porno en arrivant à Paris en 1976. Je traînais dans les rues, je regardais les filles passer, je finissais la journée dans une salle X. Pour moi, le porno a toujours été une consolation. Voir un porno console. »
Alors oui, nous sommes ailleurs, dans la machine désirante, dans les machines à désir aussi, les connues (le magnétoscope), les nouvelles (le cédérome, l’internette), les immémoriales (le regard, le cerveau). C’est par la technologie que JBR est arrivé au X : « J’étais à la fois journaliste-reporter-image pour Thalassa et j’écrivais des livres pour enfants. Certains ont même reçu des prix littéraires. Je cherchais un financement pour un CD-Rom pour l’enfance. Je ne l’ai jamais trouvé. Entre-temps, on m’a proposé des budgets pour des CD-Roms de cul. J’ai d’abord refusé. Puis les vieux démons m’ont rattrapé. »
Après avoir mis en place Penthouse virtual export, le premier CD-Rom X français, le premier film techno-excitant (Cyber X, avec notre muse Coralie), JBR s’attaque à Internet, sur son site Jbr.com, avec un live show de deux heures où, en interconnexion timbre poste, sur une image digitalisée et poreuse, une ou deux filles vous répondent au doigt et à la lettre. Une expérience ahurissante où rien n’est interdit, où la censure viendrait presque de la communauté. Après tout, comme dirait Deleuze, l’herbe pousse par le milieu, non ? « Les relations entre les filles et l’internaute, les internautes puisqu’on est plusieurs on line , sont assez ahurissantes, c’est un mélange de ludisme, de fantaisie hard et jetée, et de respect. L’autre jour, un type a demandé à une fille de chanter L’Internationale avec un godemiché. Si un internaute va trop loin dans l’irrespect, ou s’adresse aux filles avec un ton agressif, méprisant, il est souvent exclu par les autres. Il dérange. On est entre gens de bonne compagnie. »
Pour John B. Root et ses hôtesses, c’est une expérience épuisante : deux heures de tournage sans filet, sans pause, mais aussi une avancée supplémentaire dans l’abolition des intervenants entre le voyeur et l’objet de son fantasme : « Il y a eu les peep-shows, puis les sex-shops, puis Canal+ et les vidéo-clubs. Aujourd’hui, il y a le câble, qui est aussi un véritable problème puisqu’ils ont besoin d’une telle quantité de stocks diffusables qu’ils achètent n’importe quoi à bas prix, cassent le marché. Ils tuent non seulement la vidéo mais aussi toute production ambitieuse, à budget élevé. Ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Internet est pour moi aujourd’hui une source de joie et d’expérience. Je suis libre de toute création, j’invente avec mes filles des dispositifs complexes, je suis de plus en plus proche du spectateur. »
Il est clair à l’entendre que John B. Root est un naïf qui croit dur comme olisbos que les sex-shops sont les derniers cénacles où passer des heures en lévitation, à regarder les gens en extase. On aimerait lui confier notre envie de voir les boîtes de nuit remplacées par d’immenses sex-shops sur étages, où on pourrait tout aussi bien fumer une cigarette devant un mur d’écran, se poser sur un escalier en admirant le circuit des entraîneuses, rester là un moment, contemplatif… John B. Root sera toujours ce voyeur innocent, inoffensif, complexe, qui ne donne jamais l’impression de diriger l’image mais d’en recueillir la jouissance diffuse. Il est toujours du côté du spectateur, du voyeur, en quête de miracles étourdissants. Il est peut-être l’unique cas de réalisateur clitoridien, préoccupé par la seule montée d’extase.
John B. Root sait ce qu’il fait, jusque dans la contradiction. Il l’écrit même, avec honnêteté et une certaine mélancolie celle des jours impairs selon son expression, impairs de fesse, d’argent, de cœur, dans son livre Porno blues : la belle et édifiante histoire d’un réalisateur de films X. John D. Route, alors ? « C’est vrai que mon livre est souvent assez déprimé, écrit quand ça n’allait pas, entre deux jouissances. En même temps, on rigole beaucoup dans ma boîte de production. On a souvent le sentiment d’être au centre du monde. Un jour sur deux, il y a une fille qui jouit devant la caméra. Dans ces conditions, tu ne peux pas te dire que tu es passé à côté des choses ! C’est chaque jour merveilleux. Sexuellement, on a tous connu plein de choses, et je vous jure que maintenant on respire un air plus pur. Rien ne nous bloque. Il y a des grands, grands moments de bonheur, ici. Prends une fille, enlève-lui sa culotte et me voilà heureux ! J’ai des satisfactions sexuelles simples. »
C’est presque ce qui ne va pas chez John B. Root : une innocence, une candeur parfois limite. On peut se choquer par exemple de cette contradiction entre son discours ultrarespectueux sur la femme, l’actrice et le fait d’aller tourner en Hongrie, dans un milieu mafieux, où le porno et la prostitution ne sont jamais cousins lointains… « Bon, au début, j’ai adoré tourner en Hongrie, c’était comme une pâtisserie pleine de gâteaux : il y avait là des filles, des filles, des filles ! C’était vertigineux. En fait, ces filles sont des mercenaires, qui gagnent en un jour ce que leurs parents touchent en un mois. Elles viennent, elles se déshabillent, elles s’écartent les jambes avec beaucoup de professionnalisme, sans états d’âme, sans âme non plus. Elles donnent leur cul, voilà. Il y a un côté un peu dégradant, pour elle comme pour le réalisateur qui se transforme en proxénète. Moi, je veux que mes acteurs jouissent devant la caméra. Les Hongroises sont très belles, plastiquement parfaites. Mais une fille va susciter du désir non parce qu’elle ressemble à Sharon Stone mais parce qu’elle a une folie, un grain. » Mais tourner, en soi, n’est-ce pas déjà une forme de folie, d’inconséquence ? Les filles qui viennent chez lui savent-elles à quoi elles s’exposent ? « Je préfère perdre une actrice qui ne serait pas sûre d’elle-même, des conséquences du film. »
Le X n’a pas seulement affaire à la censure, il est en soi une limite, il est encore et toujours un genre cinématographique. On sent parfois John B. Root fatigué de croire à l’évolution de la perception du porno, dans une forme d’éducation des rapports par l’image, par sa force. John Bayrou ? « Je me disais qu’avec des films un peu décalés, différents, je trouverais un marché. Mais tous mes amis CSP+ préférés, journalistes à Libération ou aux Cahiers du cinéma, sont amusés par mes films mais ne les achètent pas. Alors soit je ferme ma gueule et je fais des pornos basiques mais dans ce cas-là j’ai du mal à me sentir vivre soit je casse tout et je fais un film de cinéma en risquant de me faire interdire par le CNC… Entre les deux, je ne vois rien. »
En attendant, Canal+ vient de diffuser son Exhibition 1999, suite du porno documentaire que Jean-François Davy avait consacré à Claudine Beccary en 1975. Mais c’est aujourd’hui un parterre de dix filles, dix porn-stars, qui répondent aux questions de Thierry Jousse ou d’Elisabeth Lebovici et imaginent elles-mêmes leur scénario. Parmi ces dix filles, Coralie, Elodie Chérie, la lesbienne trash Raphaella, la rousse combustible Fovéa (une découverte de John) ou Dolly Golden, la Pamela Anderson des DP (Double pénétration).
Dolly Golden partage ses locaux avec John, nous la rencontrons donc par hasard, avec son compagnon Marc Barrow. Moins belle que Tabatha ou Julia Chanel, refaite entièrement, Dolly fait le joint entre la shampouineuse amatrice et la starlette télé. Mais sait-elle qu’elle figure déjà dans le dictionnaire ? Dans le dictionnaire Larousse du cinéma, à « Dolly », on trouve en effet cette définition qui lui va si bien : « Comparée à la grue traditionnelle, la Dolly est plus souple et plus maniable. Mais comme la grue, elle est manipulée par un autre technicien que le cadreur. Equipée de roues pneumatiques indépendantes, ce qui permet les changements de mouvements dans toutes les directions, la Dolly peut éventuellement être montée sur rail si le terrain est accidenté. La Dolly peut être aussi dotée d’un bras articulé, gyroscopique (« boom »)…«
En fait, il n’y a qu’une chose dont John B. Root parle peu : les hardeurs. « Ce sont des petits coqs qui font des concours de longueur de bite sans s’apercevoir qu’ils travaillent avec des êtres humains. Je ne les accable pas : s’ils savaient qu’ils ont des filles entre les bras, ils ne pourraient plus bander. Sauf exception. Récemment, j’ai rencontré des hardeurs vachement bien, tendres et affectueux avec les filles. Et qui miraculeusement parvenaient à bander. Ce qui est rigolo, c’est qu’ils vivent de l’illusion qu’ils font jouir les filles. Mais les actrices pros leur diront « Non, tu ne m’as pas fait jouir. Je bosse, là. Fais pas chier. » Pour elles, c’est une manière de se protéger. Si tu tournes deux semaines, tu ne peux pas te permettre de jouir et de t’attacher aux gens. En fait, dans ce métier, plus tu es pro, moins tu jouis. Cela dit, si je dis du mal des hardeurs, c’est que je suis jaloux d’eux : je ne serais pas devenu réalisateur si j’avais pu être l’un d’eux. »