Grâce à une écriture nerveuse et des comédiens excellents, ce prof qui devient escort boy tient en haleine. Bonne passe.
Un homme est venu se perdre volontairement dans une ville étrangère. Il se fait alpaguer comme un débutant dans une boîte à touristes et, le temps d’une ardoise salée, se retrouve le nez éclaté sur les pavés de Londres. C’est là qu’a lieu la rencontre entre cet homme, Pierre, un Français de 45 ans, et Tom, jeune Anglais
de 25 ans qui va le prendre sous son aile. Pendant le premier tiers du film, on n’en saura guère plus sur Pierre. Michel Blanc diffuse habilement çà et là quelques éléments, mais le personnage reste opaque et nous tient en haleine. Pourquoi ce proche exil, quel est le passé de cet homme ? On le voit s’installer à l’hôtel, prendre des notes, brûler sa carte Visa, accepter un petit boulot de serveur en disant tout bas qu’il est écrivain. Engoncé dans ses velours côtelés et chemises à carreaux de prof de littérature française, le regard hagard, Pierre cherche la roue libre, la fuite en avant, sans en connaître la nature. Tom sera cet accélérateur de rupture. Mauvaise passe est une histoire de mue. Pierre change de territoire et se dépouille allègrement, de ses proches, de son compte en banque, de sa garde-robe, de sa grille de lecture, pour se livrer au bon vouloir du hasard. C’est un personnage qui veut se laver de son identité, trouver dans l’urgence quelqu’un d’autre à habiter, se chercher une autre gamme de sentiments et d’impulsions. Surgir de nulle part, c’est arriver neuf et léger, c’est sentir sur soi des regards débarrassés de toutes les inscriptions sociales qui le définissaient. C’est le grand fantasme de la tabula rasa, avec pour Pierre l’angoisse du temps qui presse. De prof à escort boy, il y a effectivement un monde. Pierre va découvrir, d’abord à son insu, qu’il peut séduire, et être payé très cher pour cela. Introduit dans le milieu de la prostitution de luxe par Tom, il va se laisser griser. La première partie du film, celle de la mise en place et du découvrement progressif du personnage de Pierre, est la plus intéressante. Une fois que Pierre « s’assoit » dans son nouveau rôle, les événements deviennent un peu plus prévisibles : son addiction à l’argent facile, à la coke, sa relation avec Kim, collègue prostituée… Ce basculement intérieur souffre de quelques apartés plus intimes avec le personnage, hors du souffle central. Michel Blanc, qui a tourné en Angleterre et en anglais, a conçu une réalisation qui serre au plus près l’action, avec une caméra nerveuse et un montage souvent cut, mais la sensation de coller au sujet sans relâche est parfois étouffante. L’idée de l’escort boy fleure un peu le concept mode, mais le film est très bien écrit, jouant sans cesse sur l’ambiguïté de la métamorphose de Pierre jusque dans le happy-end piégé. Et puis, le casting est remarquable : que ce soit Stuart Townsend (Tom), les seconds rôles, ou Daniel Auteuil, dont le jeu fait se télescoper une multitude de sentiments en un regard, tous les comédiens portent le film avec excellence.
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