Le réalisateur américain Sidney Lumet est mort le 9 avril des suites d’un cancer. Il avait 86 ans.
Bien qu’ayant débuté sa carrière cinématographique dans les années 50, Sidney Lumet était l’un des emblèmes du cinéma américain des années 70. Pas celui du Nouvel Hollywood, flamboyant, grand consommateur de filles et de coke. Non, celui plus sérieux de la côte est, engagé dans les questions politiques et sociales de son temps, qui faisait primer le sujet sur le style. Avec les Pollack, Pakula, Friedkin, Penn, Schatzberg, Sidney Lumet incarnait le pendant américain de nos « fictions de gauche » (Costa Gavras, Boisset, Tavernier…).
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Lumet était un new-yorkais pur subway, incapable de vivre durablement sous les palmiers d’Hollywood. Initié au théâtre yiddish par son père, le cinéaste a fait ses premiers pas d’artiste dans le théâtre d’avant-garde, « off broadway » comme on dit là-bas, avant de percer comme réalisateur de télévision, à l’instar d’Arthur Penn. Les planches comme le professionnalisme télévisuel modeste marqueront sa filmo.
Ses premiers films marquants, Douze hommes en colère ou L’Homme à la peau de serpent, portent l’empreinte du théâtre. Le premier est adapté d’une célèbre pièce qui dénonce la peine de mort et alerte sur les tentations populistes de la justice pénale. Dans le second, adapté de Tenessee Williams, Marlon Brando est inoubliable en fan de Leadbelly, sanglé dans son blouson en boa (ce personnage inspirera le Sailor de Lynch).
http://youtu.be/AjXSmwbWnYs
Lumet connaît son apogée de cinéaste et de célébrité à l’orée des seventies avec des films comme Serpico, Un Après-midi de chien ou Network, dans lesquels il radiographie puissamment et patiemment les problèmes de la société américaine : drogue, trafic, corruption, police, télévision. Si Lumet a parfois la main démonstrative un peu lourde (Network), son style carré, dénué de fioritures stylistiques, au service de l’histoire, du message et des acteurs, s’avère d’une indéniable efficacité. Lumet fait éclore un acteur aussi emblématique que Al Pacino, aussi étincelant dans Serpico que dans Un Après-midi…
http://youtu.be/D6ordvPpnxs
Au début des années 80, Le Prince de NY (avec Treat Williams) puis Le Verdict (avec Paul Newman) semblent marquer le baroud d’honneur d’un cinéma a priori dépassé par La Guerre des étoiles et la génération Lucas-Spielberg. Mais Sidney Lumet est endurant, il continue de faire son cinéma sans se soucier des modes ou des sommets du box-office. Il sort quasiment son film annuel, avec parfois de vrais réussites, comme Une Etrangère parmi nous (avec Melanie Griffith, 1993), excellent film noir situé dans la communauté juive orthodoxe new-yorkaise.
Son ultime film, 7h58 ce samedi-là (2007) est un polar haletant qui avait reçu les éloges unanimes de la critique.
Jusqu’au bout, Sidney Lumet aura été fidèle à la ville et à l’esprit de New York, ainsi qu’à une vision du cinéma distrayante et instructive, efficace et citoyenne. Ni maverick du box-office à la Spielberg ou Cameron, ni champion de l’underground à la Jarmusch ou Ferrara, ni esthète solitaire à la Lynch ou Van Sant, Sidney Lumet était un « cinéaste du milieu ». Ceux-là aussi sont indispensables à la vitalité du cinéma américain dans son ensemble.
Serge Kaganski
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