Contre Hitler, tout contre. La griffe Sokourov appliquée à un sujet douteux et théâtral : Adolf H. et ses nazis nazes divaguant dans le palais du Führer.
Quelle mouche a piqué Alexandre Sokourov, qui, après une brève et inédite Sonate pour Hitler tournée en 1979, remet le couvert avec faste vingt ans après en détaillant par le menu vingt-quatre heures de la vie privée du Führer et de son entourage dans son monumental Berghof de Berchtesgaden ? Le choix d’un tel sujet ne peut être anodin. Et pourtant, le point de vue sur le dictateur fasciste s’avère au bout du compte assez insignifiant. Centré sur le personnage d’Eva Braun, fofolle touchante qui jappe comme une petite chienne pour obtenir une marque d’affection de son maître ingrat, Moloch est un kammerspiel luxueux où, servis par des SS silencieux, Adolf et quelques pontes du régime (Bormann, Goebbels et sa femme) font assaut de mauvais bons mots, festoient chichement, et dans l’ensemble ne font que divaguer. Comme si le régime nazi n’avait été constitué que d’un ramassis d’idiots irresponsables et décadents. C’est un peu simple et cela pourrait surtout servir à absoudre leurs crimes sur l’air chrétien de « Pardonnez-leur, Seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Si, ils savaient ! La vision d’Hitler essuyant métaphoriquement sa merde avec ses mains ne peut pallier d’indispensables repères et référents historiques. Inconséquence grave. Pour le cinéaste, Hitler était un bouffon, un végét-aryen, un hypocondriaque égoïste, un roi capricieux tout à fait détaché des réalités de son régime sadique. L’anecdote sur Auschwitz en dit long. A Eva Braun (ou Magda Goebbels), qui évoquele camp de la mort, Adolf répond : « Auschwitz, connais pas. » Sokourov affirme que les dialogues sont tirés d’archives. Peut-être, mais tout dans sa mise en scène incite à penser le contraire, à considérer ce spectacle comme une nébuleuse fantaisie. L’évident talent plastique du cinéaste filtres, flou artistique, images nimbées, brouillard joue contre lui en rendant cette farce irréelle.
Ce huis clos très peu sartrien rappelle certains péplums où les dieux de l’Olympe badinent de sujets triviaux alors qu’ils tiennent le sort de l’humanité entre leurs mains. Seul le bref dialogue d’Hitler avec un prêtre a un certain intérêt (« Vous priez un dieu mort », rugit le Führer). Encore aurait-il fallu développer. Ce rare moment où le personnage exprime une conviction violente ne suffit pas à prendre au sérieux ce tableau quasi allégorique où Hitler est dépeint comme un être proche du gâtisme et sa compagne, comme une gentille évaporée. On retiendra donc de Moloch ses beaux camaïeux bleu-vert, son superbe travail sur la lumière et les imposants décors du palais où, au début du film, Eva Braun, nue, tel un elfe, fait d’espiègles entrechats au bord d’un gouffre. Sokourov, lui, est tombé dedans.
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