Pas de cité, pas de haine.” Tel est le slogan de ce premier film réalisé contre vents et marée, au prix de six ans d’efforts, par un jeune Beur complètement extérieur au sérail du cinéma. “Pas de haine”, cela reste à voir, la tonalité sociopsychologique du film n’étant pas fondamentalement éloignée de l’oeuvre de référence. […]
Pas de cité, pas de haine. » Tel est le slogan de ce premier film réalisé contre vents et marée, au prix de six ans d’efforts, par un jeune Beur complètement extérieur au sérail du cinéma. « Pas de haine », cela reste à voir, la tonalité sociopsychologique du film n’étant pas fondamentalement éloignée de l’oeuvre de référence. « Pas de cité », voilà la grande originalité. En effet, au lieu de tourner ce film dans les inévitables tours et autres agglomérats de parallélépipèdes édifiés il y a vingt/trente ans, le réalisateur a transposé toute une société de petits dealers et malfrats en herbe, en majorité beurs, dans des immeubles et cours (d’où le titre) de banlieue bien plus anciens et décrépits qui nous rappellent un autre cinéma : Carné-Prévert, Duvivier, etc. Bref, la zone d’avant les grandes bouffées délirantes du gaullisme. Le tout naturellement filmé en noir et blanc, la nuit, avec pavés luisants à discrétion.
Ce décalage onirique du décor induit naturellement le reste : jeu extrêmement contraint des (non)acteurs, dialogues stylisés, mise en scène assez figée. Il est évident qu’en convoquant avec candeur les spectres du réalisme poétique dans un monde banalisé par le rap, les clips et les médias, Djamel Ouahab espère magnifier ses marginaux violents, leur conférer une aura romantique. Bien que le réalisateur affirme ne pas être cinéphile (hum, hum), certains plans, certaines postures pourraient même appartenir à des films noirs de la Warner logique, car pour les personnages, l’Amérique est l’idéal suprême. Mais ces repères historiques, ces réminiscences restent de pures béquilles nostalgiques. Bien sûr, en théorie, cette idée de sortir de la vulgarité des clichés actuels en faisant appel à des clichés plus mythiques était fort judicieuse. Seulement ici, elle a pour effet rédhibitoire de nous laisser en dehors du récit. Comme si cette « cour » autarcique où des jeunes Beurs, prisonniers d’une sorte d’atavisme du malheur, mettent en scène leur désespérance était surtout interdite au monde extérieur, aux spectateurs avides de réel. Le désir du cinéaste de rendre « intemporelle et anachronique » cette histoire de dope et de violence fratricide la dessert, car elle transforme automatiquement ses personnages en archétypes. Hélas, à notre époque, les archétypes ne nous parlent plus, on préfère bêtement les types.