Dans son nouveau livre, Bernard Pivot offre ses plus belles pages sur le métier de lecteur.
Frédéric Beigbeder avait un jour écrit de Marie-Laure Delorme (JDD) qu’enfant elle avait dû rêver de devenir… Angelo Rinaldi. C’était drôle, méchant, totalement injuste. Car enfant, moi, je voulais devenir… Bernard Pivot.
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Du fin fond d’une banlieue lugubre, je n’ai raté aucune de ses Apostrophes. Alors que les écrivains étudiés au lycée paraissaient hors du monde, Pivot rendait les auteurs accessibles : interrogés par lui, ils en devenaient des humains comme les autres… Il s’est dit déconcerté face aux silences de Marguerite Duras, mais durant l’entretien qu’il réalise avec elle en 1984 à la sortie de L’Amant, il la tient, il tient le dialogue à bout de bras et l’on sent que Duras sait qu’elle a vraiment quelqu’un en face d’elle, qu’il ne la décevra pas au moment où elle livre le plus intime d’elle-même : la jouissance, qui irradie toute la suite de sa vie, car l’amour avec “le Chinois” a eu lieu “sans énoncé” et ce qui ne s’est pas dit “est inépuisable”. Et il en faut, de la confiance en son interlocuteur, pour s’exposer ainsi.
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Dans Les Mots de ma vie (Albin Michel), Pivot raconte que, lorsque les écrivains ont tenté de garder des liens avec lui, il s’est défilé :
“Il est vrai qu’être réveillé à deux heures du matin par Marguerite Duras, qui avait éprouvé l’amical besoin de me lire au téléphone le texte qu’elle venait de terminer, ne m’a pas paru être une initiative à encourager.”
Il n’est que journaliste, et ne veut pas tomber dans un rapport de cour avec eux. Quant à la lecture (dévorante), elle “isole, sépare. Le lecteur fuit, il est toujours ailleurs.” Trop loin de sa famille, de ses amours… “Salauds de livres !”
Entre ce rapport aux écrivains qui ne peut être sain que s’il reste distant, et cette vérité sur ce métier de lire qui vous sépare fatalement de ceux que vous aimez, on a rarement lu de lignes aussi justes, aussi vraies, sur cette étrange pratique qu’est le journalisme littéraire.
Nelly Kaprièlian
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