Troisième long métrage de Wang Xiaoshuai, So close to paradise constitue une nouvelle preuve de la vitalité du jeune cinéma chinois. C’est surtout un très beau film, digressif et vibrant, retenu et lyrique. Proche de Xiao Wu, artisan pickpocket de Jia Zhangke, sorti au début de l’année et pas assez vu, le film appartient à […]
Troisième long métrage de Wang Xiaoshuai, So close to paradise constitue une nouvelle preuve de la vitalité du jeune cinéma chinois. C’est surtout un très beau film, digressif et vibrant, retenu et lyrique. Proche de Xiao Wu, artisan pickpocket de Jia Zhangke, sorti au début de l’année et pas assez vu, le film appartient à la même veine réaliste et sentimentale qui révèle l’état souterrain de la société chinoise en se penchant sur les désarrois de jeunes gens pris entre deux feux, entre deux mondes.
Comme Xiao Wu, Dong Zhi et Gao Ping ont rejoint la grande ville pour échapper à la misère et à l’ennui de leur campagne. Originaires du Huang Pi, ils se sont installés à Wu Han, ville natale du cinéaste, située sur la rivière Yangtsu. Le plus jeune des deux frères, timide et presque mutique, transporte des marchandises d’une rive à l’autre pour une misère ; tandis que l’aîné, plus ambitieux et sûr de lui, rêve de devenir un caïd. Ils partagent un taudis au-dessus du fleuve. Happy together.
La référence à Wong Kar-wai s’impose d’autant plus facilement que le film opte d’abord pour un découpage speedé et une longue scène d’arnaque glauque, qui rappelle les polars de Hong-Kong et suffit à révéler que Wang Xiaoshuai connaît et apprécie les bijoux fébriles de Maître Wong.
Mais sitôt l’intrigue classique de la vengeance entre petits malfrats posée, le film change de direction et tourne à la chronique amoureuse. D’abord kidnappée à cause de ses liens supposés avec l’arnaqueur de Gao Ping, la belle chanteuse entraîneuse « vietnamienne » ne tarde pas à devenir le centre fragile et mouvant du trio. Ce sera donc un mélodrame pudique, dans la grande tradition chinoise, et un récit multiple fait d’ellipses et de hachures, d’une évidente et tranquille modernité.
Dans une ville portuaire où on joue au billard sur le trottoir, pendant que la télévision dénonce les maux de la révolution capitaliste et insiste sur la nécessité de lutter contre la prostitution, les trois personnages entament une partie de cache-cache aux enjeux aussi lourds que son traitement reste léger. Racontée en voix off et au passé par Dong Zhi, l’histoire des rêves brisés de Gao Ping n’est que le plus évident des fils à suivre. Devant ruser avec la censure sur le plan politique comme sur le plan sexuel, le cinéaste ne cesse de suggérer des pistes au lieu de les asséner, imaginant des combinaisons formelles d’une inventivité qui ne dérape jamais vers l’épate.
D’une audace moins frontale que Jia Zhangke, sans doute parce que le film a été produit avec des capitaux chinois et non hong-kongais et a été diffusé commercialement sur le continent, Wang Xiaoshuai possède le même art de remplir les temps morts d’allusions décisives et d’annotations suggérées. Tout le film vibre de ses non-dits. Le plus bouleversant restant le changement de statut du cadet qui, d’observateur inquiet, devient amoureux qui ose enfin se déclarer, et celui de la fille qui ne cesse de gagner en finesse et en complexité. Cette émancipation progressive des personnages vers des horizons nouveaux est traitée en contraste avec les blocages officiels et moraux d’une société schizophrène.
Moins désespéré et moins brûlant que Xiao Wu, So close to paradise est un film plein de sous- entendus qui sait transformer une romance de midinette en un cri de rage étouffé. On n’est pas près d’oublier la fureur pleine d’espoir lucide qui s’en dégage. La Chine n’en finit plus de s’éveiller.
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