Allons z’enfants. En questionnant les collégiens d’une Zep, Denis Gheerbrant offre un superbe contrepoison aux représentations réductrices des médias sur les “jeunes” et la “banlieue”. Où le cinéma affirme son rôle de contrechamp indispensable aux magazines et journaux télévisés, comme un vaccin vital face au poison quotidiennement déversé par le robinet cathodique à l’heure du […]
Allons z’enfants. En questionnant les collégiens d’une Zep, Denis Gheerbrant offre un superbe contrepoison aux représentations réductrices des médias sur les « jeunes » et la « banlieue ».
Où le cinéma affirme son rôle de contrechamp indispensable aux magazines et journaux télévisés, comme un vaccin vital face au poison quotidiennement déversé par le robinet cathodique à l’heure du prime-time. Le cinéaste Denis Gheerbrant est allé questionner des élèves du collège Guy-Moquet à la cité du Luth de Gennevilliers, établissement classé Zep. Pour pulvériser les raccourcis catastrophiques, les concepts mensongers et autres généralités réductrices tels que « les jeunes » ou « la banlieue », pour contrecarrer la mortifère novlangue médiatique et redonner à ces enfants leur individualité et leur complexité, Denis Gheerbrant s’est armé de sa caméra et de quelques principes de base.
D’abord, tourner à l’intérieur du collège : « Si j’étais allé dans une cité, j’aurais filmé les enfants qui fréquentent tel ou tel club de jeunes, telle ou telle bande… J’aurais été l’otage d’une réalité des enfants. » Puis, venir tourner seul, sans équipe, afin de créer les conditions intimes d’un véritable échange. Ensuite, ne choisir que des élèves de 5ème, à la lisière de l’enfance et de l’adolescence, gamins entrant dans le sociétal, au seuil des premières réflexions et des premiers choix.
Enfin et surtout, « luxe » indispensable, le temps. Gheerbrant a enquêté de l’automne 95 à l’hiver 96, préparé le tournage pendant le printemps 96 et tourné pendant toute l’année scolaire 96-97 : « Au départ, j’ai travaillé tous les jours : je constituais des groupes de cinq ou six enfants et on discutait… Puis j’ai commencé à voir avec quels enfants j’allais tourner. Après ces trois mois passés dans le collège, j’ai écrit le scénario pour l’avance sur recettes. Au début du tournage, quand je descendais dans la cour, les enfants envahissaient systématiquement le champ de la caméra. Très vite, il a fallu faire passer massivement la règle : c’était les 5èmes que je filmais. Puis faire comprendre que j’allais rester toute l’année, qu’il y avait du temps, que ce n’était pas la peine de se précipiter. Peu à peu, ma silhouette s’est installée dans le paysage du collège. »
C’est ce lent travail d’approche et d’immersion, cette méthode patiente et minutieuse, qui explique l’intensité et la qualité de l’échange visible à l’écran. Gheerbrant (que l’on ne voit jamais dans le champ mais dont on entend constamment la voix dialoguer avec les collégiens) n’a pris les enfants ni comme des cobayes ni comme des angelots-rois (les deux travers habituels du cinéma utilisant l’enfance) mais comme des êtres à part entière à qui il redonne une parole et une écoute. Car Grands comme le monde est avant tout un film de la parole : parole comme processus de construction personnelle, comme appropriation et affirmation de son identité les collégiens ne sont jamais filmés en situation « normale » mais en position d’interviewés, car Gheerbrant est un documentariste interventionniste et ne croit pas à la posture du simple capteur de réel.
Les résultats de ces interviews sont tour à tour étonnants, amusants, émouvants, poignants. Il y a Hafid, le bon élève qui collectionne les bonnes notes, Joackim qui n’a pas trop envie de grandir et qui évoque les « grands » qui dealent au coin de l’immeuble, Dave qui croit au système scolaire, au diplôme et à l’éthique du travail… Mais le plus inoubliable de ces enfants est Oumarou, petit gamin vif et bravache, solitaire et bagarreur, dont la petite bouille lisse semble contenir un cerveau qui a vécu cent ans… Le jour où il se fait exclure, il déclare tel un philosophe chenu, « Ainsi va la vie… et la vie va jusqu’à la tombe… j’ai pas raison ? » : 12 ans et déjà fataliste, déjà usé, déjà hyperconscient de la mort, privé de rêve et d’avenir. Mais impossible de refléter ici l’ampleur et la variété des paroles recueillies par le cinéaste. Cette polyphonie de mots et de destins dit la coexistence difficile entre la famille, la cité et le collège, la force et l’impuissance du système scolaire républicain, questionne la tension entre communauté et citoyenneté, ébauche l’aventure de la sortie de l’enfance, prouve la force et la beauté du cinéma quand celui qui opère sait écouter et regarder. A tous ces collégiens, on a envie d’adresser cette formule d’accueil lourde d’autant de promesses que de menaces : bienvenue au monde.
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