L’exposition de Philippe Decrauzat, fils prodigue des expériences mirifiques de l’op’art, comporte son lot d’effets visuels, toujours aussi prenants. Mais affiche aussi une certaine mélancolie.
On voit flou, double, tout en blanc puis tout en noir, un poteau qui bouge, des peintures qui vibrent et des films en super-huit qui impriment sur la rétine des images persistantes. Mais le show est minutieusement réglé pour prendre la forme d’un mirage : ce vers quoi on avance, recule. Et inversement : si je recule, c’est l’oeuvre qui semble s’avancer, sans que jamais on ne touche au but, ni que cette illusion ne prenne fin.
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Ainsi, le film, sample du générique du Fahrenheit 451 de François Truffaut, enchaîne les zooms sur des antennes hertziennes, en inversant les images ou en les fendant en deux, si bien qu’elles deviennent à elles-mêmes leur propre écho. C’est aussi le cas du premier tableau, un shaped canvas (une toile aux contours irréguliers) qui déplie un W parfaitement symétrique. Plus loin, On Cover traverse tous les murs de la salle, suivant un motif grillagé, aux croisillons stretchés, plus ou moins serrés. Sa composition est en fait dédoublée : la moitié supérieure dépliant en miroir la partie inférieure.
« Arrivé à la fin de l’exposition, on en a vu que la moitié », plaisante Philippe Decrauzat. Et en effet, au retour, il reste à voir l’autre moitié, en quelque sorte, de chacune des pièces. Mais surtout, si l’artiste rêve qu’on n’arrive pas au bout, que la fin n’en soit pas une, c’est que l’expo joue à propager sa zone d’émission (et de réception) le plus loin possible. D’où cette petite sculpture fluide et raide à la fois, inscrivant dans l’acier des cercles concentriques et crénelés. Comme des ronds dans l’eau, elle fixe un mouvement ondulatoire, et davantage : Anisotropy, son titre (et celui de l’expo), s’inspire de la propriété physique de certains matériaux qui n’ont pas la même apparence selon le point de vue de l’observateur. Mais nul besoin d’être trop théorique.
Même si les références scientifiques sont habituelles dans ce travail, leur application suffit à la démonstration. Le visible dévisse à un moment. Comme ce poteau au milieu du Plateau, qui semble avoir été désaxé par la simple adjonction autour de lui d’une table rectangulaire. Mais tout cela reste encore trop formel. Parce que l’expo ne se résume pas à la fiche technique des pièces ou à leur mode d’emploi.
Il y a là, derrière cette myriade de mirages, étendue dans tout le Plateau, une mélancolie contemplative digne de celle d’un romantique s’abîmant devant le spectacle infini de la nature. Ce qu’on veut dire, c’est que ces expérimentations-là, loin d’être seulement ludiques, affirment un sentiment d’incomplétude. Quelque chose ici échappe. Se donne et se refuse, attire et tient à distance.
Judicaël Lavrador
Anisotropy jusqu’au 15 mai au Plateau, place Hannah-Arendt, Paris XIXe, tél. 01 76 21 13 41
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