Le cinéma n’est pas mort. Avant d’être cinéaste et scénariste, Pascal Bonitzer était critique : une écriture vivifiante à redécouvrir fissa. C’est un court mais dense recueil d’articles écrits par Pascal Bonitzer et publiés pour la plupart dans les Cahiers du cinéma. Lorsque Bonitzer, en 1982, les a rassemblés et remaniés pour en faire Le […]
Le cinéma n’est pas mort. Avant d’être cinéaste et scénariste, Pascal Bonitzer était critique : une écriture vivifiante à redécouvrir fissa.
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C’est un court mais dense recueil d’articles écrits par Pascal Bonitzer et publiés pour la plupart dans les Cahiers du cinéma. Lorsque Bonitzer, en 1982, les a rassemblés et remaniés pour en faire Le Champ aveugle, il est alors un scénariste débutant, pour Allio et Téchiné, bientôt pour Rivette. Il ne tournera son premier long métrage (Encore) qu’en 1996.
Ce qui frappe dans ces textes, c’est que l’activité critique, pour Bonitzer (comme elle l’était pour Daney), ne sert pas seulement à déchiffrer les films ou l’oeuvre d’un grand cinéaste (ici surtout Hitchcock, Welles, mais aussi Mizoguchi, Bresson ou Ruiz). Ses analyses, si elles sont nécessaires, patientes et éclairées, servent, encore et toujours, à chaque fois, à tenter de trouver et de dire ce qu’est le cinéma, après André Bazin ou Eisenstein. Et Bonitzer, au milieu de ses raisonnements, de glisser tout d’un coup, comme dans un éclair, des phrases fracassantes qui font leur chemin bien après qu’on les a lues.
Ces textes permettent aussi de déceler ce qui le touche, lui, dans le cinéma, révélant, par leur récurrence, quelques-unes de ses obsessions ou fascinations : le gros plan de visage (sa violence et son obscénité), le montage (les effets Koulechov reviennent très souvent), le hors-champ et la profondeur de champ. En fin de compte, Bonitzer décrit sans relâche le jeu permanent du cinéma avec la réalité et le rôle paradoxal et érotique du cadre, du plan, de la couleur ou du son, qui cachent autant qu’ils montrent et qui ne peuvent montrer la réalité, ou son mystère, qu’en la trichant ou en la cachant. Il nous dit que les créateurs véritables sont aussi sans pitié pour la réalité, et que ce jeu ambigu explique que le cinéma moderne se soit vu contraint d’échapper au réalisme, et donc entre autres choses de se couper de la grande masse du public.
Mais l’un des passages les plus forts de ce Champ aveugle est le texte que consacre Bonitzer au suspens hitchcockien. Il y prouve que, contrairement à ce que l’on pense, le suspens n’existe que par le naturel. Vingt ans après, ces lignes n’ont pas vieilli : d’une part, elles prouvent à qui en douterait encore que le cinéma est parfois un art, et qu’il pourrait encore l’être, si l’on y prenait garde. D’autre part, en prenant soin de construire lui-même une scène « à la Hitchcock » en partant d’une séquence de film muet au comique archétypal, Bonitzer démontre que l’activité critique est elle-même parfois un art (l’un des plus grands et des plus difficiles disait en substance je ne sais plus qui , la preuve, c’est qu’il y a très peu de grands critiques). Nous marchons dans les pas d’un maître, dans ses idées, nous sommes dans le pastiche, donc nous sommes déjà dans l’écriture et l’édification d’un monde. Le cinéma n’est donc pas mort.
Le Champ aveugle, essais sur le réalisme au cinéma de Pascal Bonitzer (Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma)
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