Dans son froc. Le Projet Blair Witch renouvelle efficacement un genre épuisé : enfin un film d’épouvante qui fiche les jetons. Au mitan des années 80, pas encore adoubés par Nick Hornby, nous nous grisions de listes : Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato caracolait en tête de celle des films les plus nauséabonds. Des reporters […]
Dans son froc. Le Projet Blair Witch renouvelle efficacement un genre épuisé : enfin un film d’épouvante qui fiche les jetons.
Au mitan des années 80, pas encore adoubés par Nick Hornby, nous nous grisions de listes : Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato caracolait en tête de celle des films les plus nauséabonds. Des reporters disparaissaient en Amazonie, leurs rushes étaient retrouvés et projetés, témoignant des atrocités dont ils avaient été victimes. Gerbi indeed. Le Projet Blair Witch reprend ce même dispositif (ici, trois étudiants en cinéma partis se faire les dents sur une histoire de sorcellerie dans une forêt du Maryland), mais oppose à l’obscène son meilleur antidote, le hors-champ. A l’instar des films de Tourneur produits par Val Lewton, l’économie régit les options de mise en scène, et ce rendez-vous avec la peur entérine l’adage du less is more. Parallèlement à leur reportage en 16 mm, nos trois apprentis documentaristes, enfants du making of et de la vidéo domestique, n’ont de cesse de se shooter à la Handycam. Ces plans mal fagotés de témoignage ludique dérivent peu à peu lorsque, égaré, le trio se voit projeté dans la trame classique du groupe de post-ados face à un environnement hostile vers la vertu cathartique de conjuration de la frousse (le viseur fait écran, voile le danger en l’enregistrant).
De Robert Montgomery à Philippe Harel, la caméra subjective semblait un procédé définitivement voué à l’échec. Avec Blair Witch, elle trouve enfin son sujet, et par sa multiplication (les trois se la passent comme un relais), sa cohérence dans la perturbation de notre place de spectateur. Si dans les films d’épouvante classique la peur naît de notre position de témoin, à la fois averti du danger qui menace le personnage (l’autre) et tributaire des effets d’un réalisateur marionnettiste, elle prend ici une forme éminemment plus perverse, nous rendant actants par la concordance de notre regard avec celui de la proie. Et les tremblements de l’image échappent au simple gimmick pour s’inscrire comme émanation de corps habités par l’angoisse. Peur du visible contre peur du noir : les protagonistes, à l’abri de leur tente, filment parfois sans aucune source lumineuse, ne captant que la nuit saturée de cris et bruissements inquiétants. Ouïr, c’est jouir, assurait le Marquis, alors, excité ou pétrifié, l’oeil écoute ces longs plans noirs réminiscents de Debord ’52, Hurlements en faveur de Sade.
Car le regard achoppe continuellement sur l’objet de sa trouille, arlésienne perfide. Aucun corps étranger ne viendra pénétrer le cadre, seuls font irruption les sons et les vestiges de la nuit passée : fagots de brindilles, amoncellement caillouteux, mini-stèles funéraires qui, au matin, entourent le bivouac. Des reliquats annonciateurs d’effrois à venir, des résidus de panique, tel ce gel visqueux qui souille les affaires du cadreur. Aurait-on littéralement fait dans son froc ? Ne le blâmons pas : avec ce projet absolutely terrific, personne n’est réellement à l’abri.