Au milieu des années 60, Hitchcock congédie froidement son ami et génial compositeur, Bernard Herrmann. Ses films suivants souffriront gravement de la déchirure. Jusqu’à 1966, tout baigne entre Hitch et son compositeur attitré, Bernard Herrmann. Leur association sans faille affiche déjà onze années et sept collaborations qui coïncident avec un sommet artistique et commercial dans […]
Au milieu des années 60, Hitchcock congédie froidement son ami et génial compositeur, Bernard Herrmann. Ses films suivants souffriront gravement de la déchirure. Jusqu’à 1966, tout baigne entre Hitch et son compositeur attitré, Bernard Herrmann. Leur association sans faille affiche déjà onze années et sept collaborations qui coïncident avec un sommet artistique et commercial dans la carrière du cinéaste (Vertigo, La Mort aux trousses, Psychose entre autres) et, par ricochet, dans celle du musicien.
Une seule ombre noircit leur tableau d’honneur commun : malgré la partition voluptueuse et inoubliable qu’Herrmann a composée pour Marnie, le film est un flop. Affaibli par l’échec, Hitchcock se laisse convaincre par d’imbéciles conseillers musicaux d’Universal qui estiment qu’un rajeunissement des musiques de ses films pourrait l’aider à capter un nouveau public.
Pour Le Rideau déchiré, le film en chantier qui a pour thème une affaire d’espionnage, ils pensent notamment qu’un score façon James Bond contribuerait à recoller Hitchcock à la mode pop du moment. Dans un télégramme adressé à Herrmann, Hitchcock reprend ainsi à son compte les vues basses de ses financiers et demande à son ami Benny de composer des thèmes plus directs et plus rythmés, autrement dit d’aller dans la direction inverse des précédents films en sacrifiant la sculpture orchestrale pour un banal accompagnement dans l’air du temps.
Herrmann s’attèle alors à ce qui deviendra la partition maudite du Rideau déchiré en optant pour un ensemble peu orthodoxe avec seize cors, douze flûtes, neuf trombones, deux tubas et une section de cordes privilégiant violoncelles et contrebasses. Quand Hitchcock débarque en studio pour écouter l’enregistrement, il ne laisse la bande défiler qu’un court instant avant de hurler : « Je ne veux pas entendre une note de plus. Ce n’est pas ce que j’avais demandé dans le télégramme. Il s’agit d’une complète violation de mes instructions. » Puis il se barre, la séance en cours est annulée et Herrmann se voit congédié tel un débutant. Fragilisé et malade, Hitchcock n’est alors nullement disposé à débattre de ses choix et il considère l’attitude d’Herrmann comme une trahison.
Après la déchirure violente, le rideau tombe sur l’étroite collaboration Hitchcock-Herrmann. La partition avortée du Rideau déchiré, rejouée et publiée depuis, n’égale certes pas les précédentes composées par Herrmann, mais elle vaut toujours mieux que celle de John Addison, mollement jazzy et passe-partout, qui lui fut préférée au final.
Les musiques des films suivants souffriront gravement de la comparaison avec les travaux d’Herrmann. Pour L’Etau, Maurice « Docteur Jivago » Jarre compose une espèce de marche de cirque aussi faiblarde que le film. Henry Mancini, appelé pour Frenzy, connaît le même sort qu’Herrmann et voit son score rejeté au profit du compositeur anglais aux penchants pompiéristes Ron Goodwin (The Battle of Britain). Enfin, le futur compositeur de Star wars, John Williams, est en charge de Complot de famille et se tire maladroitement de l’affaire en usinant une classique partition hollywoodienne, avec chorale mais sans caractère.
Herrmann, terrassé par sa rupture avec Hitchcock, ira se consoler notamment chez Truffaut (La Mariée était en noir), Scorsese (Taxi driver) et chez l’obsessionnel hitchcockien De Palma (Obsession). Jusqu’à sa mort en 1975, il n’adressera plus jamais la parole à Hitchcock.