Un cinéaste en marge. Olivier Assayas plonge tête baissée dans l’oeuvre incantatoire de Kenneth Anger pour un livre inspiré. Livre La réaction première fut de recevoir cet essai comme un symptôme. Kenneth Anger, livre au chevet d’un cinéaste, Olivier Assayas, dont les dernières nouvelles n’étaient pas franchement emballantes. Ainsi, écrire sur Anger et y convoquer […]
Un cinéaste en marge. Olivier Assayas plonge tête baissée dans l’oeuvre incantatoire de Kenneth Anger pour un livre inspiré.
Livre La réaction première fut de recevoir cet essai comme un symptôme. Kenneth Anger, livre au chevet d’un cinéaste, Olivier Assayas, dont les dernières nouvelles n’étaient pas franchement emballantes. Ainsi, écrire sur Anger et y convoquer « l’univers mental de (son) adolescence où se mêlent indistinctement contre-culture américaine, occultisme, drogue, avant-garde et poésie » participerait de ce délit de jeunisme décelé dans Fin août, début septembre. Mais lorsqu’on referme ce court et dense essai, la cote d’amour d’Assayas est à nouveau prise de vertige ascensionnel. Entrepris au sortir d’Irma Vep, écrit « sans notes, sans projets », cet essai puise sa force dans les doutes de son auteur et dans son mode de rédaction, sprint « au fil de la plume ». Look back in Anger, le nez dans le guidon. Et la vertu cardinale de cette échappée est de laisser loin derrière le peloton de clichés habituels : underground, cinéma expérimental, autant d’étiquettes qui n’ont même pas droit de cité ici. Car ce qui habite réellement le cinéma d’Anger relève du rituel, de la transe et de la quête mystique. Portrait de l’artiste en mage, non en marge.
On pouvait voir dans Irma Vep un extrait de Classe de lutte, film militant des années 70 où un placard proclamait : « Le cinéma n’est pas une magie. C’est une technique et une science. » Irma Vep était parcouru de cette dualité entre la fascination pour l’urgence des primitifs et la lourdeur générée par l’industrie. Au pompiérisme d’Hollywood, auquel il s’est frotté, enfant-acteur, dès l’âge de 8 ans, Anger va opposer la puissance de l’image fugitive et la perturbation de la perception, seules forces aptes à « donner corps au merveilleux, à l’invisible ». S’opère alors pour Anger un retour à Méliès, mais pour parachever l’oeuvre, il s’agit de substituer à la magie blanche de Méliès la magie noire d’un Aleister Crowley, de revêtir les atours de l’alchimiste et non plus ceux de l’illusionniste.
Dès lors qu’Anger ne déviera plus de ce processus de cinéma en tant que rituel d’invocation, Assayas restera fidèle à une conduite chronologique, la seule à tenir, décryptant chaque film comme autant de stations, jusqu’à Lucifer rising, « rencontre d’un artiste, non pas avec son temps, mais avec celui qui l’attendait ». C’est là une des nombreuses fulgurances inspirées qui émaillent un essai qui vaut aussi par son style bouillonnant et fiévreux, précipité et incantatoire, à l’aune de la transe angérienne, et qui le rend passionnant à lire. A fortiori quand Assayas se plaît à dessiner des passerelles avec les mondes de Warhol, Fassbinder ou Werner Schroeter, incursions élégantes et discrètes, lestement distillées pour ne pas endiguer le flux de son éloge.