Après Watchmen et 300, Zach Snyder, le cinéaste geek qui influence les jeux vidéo, revient avec un blockbuster féministe. Avant de s’attaquer à Superman.
L’énorme succès de 300, son péplum 3.0, en a fait un des cinéastes les plus puissants et les plus courtisés d’Hollywood. Il n’a certes pas encore le prestige oscarisable de David Fincher ou de Christopher Nolan, mais son beau Watchmen lui a valu les faveurs d’une partie de la critique. Avec Sucker Punch, il livre un action-movie féministe, autour d’une escouade de danseuses de cabaret qui franchissent des mondes virtuels où elles deviennent d’indomptables guerrières. C’est un peu la synthèse entre Tournée de Mathieu Amalric et Lara Croft. Rencontre avec le geek survolté qui a orchestré ces noces numériques.
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Vos précédents longs métrages sont des adaptations ou des remakes. Où avez-vous trouvé l’inspiration pour Sucker Punch, votre premier scénario original ?
Zack Snyder – D’un peu partout, mais avant tout d’une nouvelle que j’ai écrite il y a quelques années, dans laquelle une fille se fait molester par des bad guys qui l’obligent à danser pour eux. Elle fait un rêve, dans lequel elle quitte son corps pour vivre une aventure. L’idée de la lobotomie vient de La Planète des singes, l’original de 1968, cette scène où ils enlèvent le cerveau d’un type.
Ça me fout toujours les jetons. Sinon, mon imaginaire est nourri de tout un tas de choses très spécifiques, le magazine Heavy Metal, les chefs-d’oeuvre du manga japonais adaptés au cinéma (Akira, Apple Seed, Ghost in the Shell…). Je suis un peu moins inspiré par la télé, même si mon personnage de Babydoll est tout droit sorti d’un ichitatsu, ces dessins animés japonais pour adultes diffusés en prime time.
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Le film traite du thème de la folie. Cet asile est peuplé de jeunes femmes qui ne sont jamais désignées comme folles.
Le monde de la maladie mentale que j’ai voulu décrire, c’est celui de ces jeunes filles rebelles qui, dans les années 50, étaient envoyées vers ce genre d’institution. A l’époque, si tu étais une fille qui habitait dans le nord-est de l’Amérique et que tu disais à tes parents : « je ne veux pas me marier à ce type, je ne veux pas faire cela », ils pouvaient te répondre : « Tu es folle, et il faut que tu ailles dans cet endroit pour te faire soigner. Et si tu causes des problèmes, on a une autre solution pour toi : la lobotomie. » A cette époque, ils s’occupaient vraiment ainsi de ces filles, celles qui avaient du répondant et ne faisaient pas ce qu’on leur disait de faire. On pouvait s’en débarrasser en les envoyant dans ce genre d’endroit. Voilà ce qui m’intéressait.
La mise en scène de vos films reprend souvent les codes et l’esthétique des jeux vidéo.
Je vais dire un truc bizarre, mais je ne veux pas paraître prétentieux pour autant. J’ai l’impression que les jeux vidéo ont été influencés par 300, à tel point que c’est comme si la boucle était désormais bouclée. On dit parfois que j’imite les jeux vidéo, mais à mon avis, c’est plutôt l’inverse. Par exemple, j’ai un ami qui bosse dans l’animation pour jeux vidéo. Un jour, je lui dis : « Serais-tu « tu rentres dans une boucle intéressante quand tu ne sais plus si c’est toi qui imite les jeux vidéo ou l’inverse » intéressé par l’idée de travailler avec moi sur ces séquences animées pour un film ? » Il m’a répondu : « Ecoute, c’est dans l’autre sens que cela se passe. Nous, on attend que tu fasses un film, et après on te pompe. »
Tu rentres dans une boucle intéressante quand tu ne sais plus trop si c’est toi qui les imite, ou si ce sont eux qui t’imitent. Ceci dit, je joue toujours à Call of Duty, ce genre-là. En ligne.
Qu’est-ce qui vous incite à ne filmer quasiment qu’en « blue screen » ? Pourquoi donnez-vous si peu de place aux décors réels, au réel tout court ?
Je ne veux pas de décor, pas de réel. L’un des aspects importants de Sucker Punch, à ce propos, c’est ce film dans le film, ce show dans le show. Où la réalité s’arrête-t-elle, où la fiction et le fantastique commencent-ils ? J’essaie de jouer avec cela dans chaque aspect du film. Les premiers plans montrent des rideaux qui s’ouvrent sur cette fille, qu’on découvre sur une scène de théâtre. Tu te demandes alors : « Est-ce réel ? » Et puis, elle se retrouve dans cet asile de fous, et elle-même se demande : « Est-ce la réalité ou suis-je en train de rêver tout cela ? »
Le spectateur sait que ça ressemble à la réalité, mais dans une version plus stylisée. Enfin, elle arrive dans ce bordel, c’est le troisième niveau, un monde où elle s’échappe dans ses rêves. A la fin, je veux que tu te demandes si c’est vraiment la fin du film. Que tu te dises : « Attends, avec toutes les possibilités qui nous ont été données, est-ce vraiment la fin du film ? Et cette fille, au fond, est-elle réelle ? »
Votre mère était professeur de peinture, et vous-même avez étudié les beaux-arts à Pasadena. Quelles sont vos références picturales ?
J’adore créer des images de type baroque ; j’admire d’une part Frank Frazetta (le dessinateur du comics Conan le Barbare – ndlr) pour ce qui concerne l’univers des fantasy, et d’autre part Jacques-Louis David en termes de peinture classique. David, c’est un peu le Michael Bay de l’art classique français, non ? (rires). Je me souviens, un jour, au Louvre, il y avait cette toile de David, Léonidas aux Thermopyles, et j’ai dit à mon guide – c’était juste avant la sortie de 300 – : « Ça alors, je viens de réaliser cette peinture en film ».
C’est exactement la même chose. Sauf que mes acteurs sont obligés d’être un tout petit peu moins dénudés. L’influence de la peinture sur mon travail est fondamentale. Giovanni Battista Tiepolo aussi : j’ai toujours été fasciné par la peinture romantique, surtout quand elle a une dimension fantastique. Notamment cette toile, La Victoire de l’innocence et de la vertu sur le mal, qui m’obsède depuis que je suis enfant et que j’ai toujours gardée dans mon carnet de notes.
Comment réussissez-vous à traduire cela en termes cinématographiques ?
Quand vous regardez mes films, tous ces types d’images apparaissent ici et là, de manière bizarre. Il y a toujours des effets spéciaux, certes, comme le pinceau du peintre. Mais là n’est plus la question aujourd’hui. C’est vraiment à toi de décider ce que tu veux créer en termes de cinéma. Car désormais, tout est possible, tu peux créer l’image que tu veux. Ta seule limite, c’est ton imagination, tes rêves.
Quels sont les cinéastes que vous admirez le plus ? Ceux qui vous ont aidé à vous construire ?
Je suis un fan invétéré de David Cronenberg, mais aussi de John Boorman. Excalibur est un chefd’oeuvre. Sans oublier Terry Gilliam.
Dawn of the Dead (2003) et Watchmen (2008) sont des films de critique politique, de contestation. 300 a, au contraire, été taxé de film de droite. Quel rapport entretenez-vous avec le contenu idéologique de vos films ?
Mon dernier film est probablement le plus neutre que j’aie jamais fait politiquement. On a parfois dit de 300 qu’il était un film à message. Je pense, pour ma part, que Watchmen a une plus grande portée politique. Au sujet de Sucker Punch, on me demande souvent si ce film ne serait pas une sorte de manifeste incitant à l’insurrection et à la rébellion, avec tout ce qui se passe en ce moment au Moyen-Orient… Ce à quoi je réponds : « Cool, ok, bien sûr. » Mais pour être honnête, de mon point de vue, ce n’est pas aussi politique que cela.
Pourquoi s’attaquer au mythe de Superman dans votre prochain film ? En quoi votre film sera-t-il différent de celui de Bryan Singer ?
Je dis toujours une chose : il faut connaître les règles afin de pouvoir les briser. A ce sujet, je pense vraiment que le Watchmen original, c’est la règle d’or, la bible pour comprendre l’univers et l’origine des superhéros. Il devrait y avoir des écoles « Watchmen », où l’on puisse apprendre pourquoi les superhéros existent, ce qu’ils sont, avant de faire de la bonne propagande vous-même, en vous fondant sur les mêmes icônes (rires). Parmi toutes les sortes de superhéros, Superman est le modèle absolu. Le plus puissant d’entre eux aussi, avec cette forme de sagesse.
Mon film interrogera un peu tout cela. Il posera aussi la question de la raison d’être de Superman. Je tâche de le rendre accessible, intéressant, et surtout réel. Car tel est le défi de filmer Superman : comment peut-il être assez empathique pour que tout un chacun se dise : « Si j’étais Superman, je ferais cela aussi. Ok, Superman, toi et moi, on est les mêmes, on est sur la même longueur d’ondes. » C’est cela l’enjeu avec Superman.
Yann Perreau
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