Soupçons. En petite forme, Claude Chabrol livre ses nouvelles variations hitchcockiennes : l’état du couple à travers le prisme de la culpabilité et des faux-semblants. Avec son nouveau film, Chabrol continue son exploration dans l’épaisseur noire de l’âme humaine, ses faux-semblants, ses pulsions destructrices. Plantant son décor sur le rivage breton, entre mer et falaises, […]
Soupçons. En petite forme, Claude Chabrol livre ses nouvelles variations hitchcockiennes : l’état du couple à travers le prisme de la culpabilité et des faux-semblants.
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Avec son nouveau film, Chabrol continue son exploration dans l’épaisseur noire de l’âme humaine, ses faux-semblants, ses pulsions destructrices. Plantant son décor sur le rivage breton, entre mer et falaises, le cinéaste ouvre le film par la découverte du corps d’une petite fille, strangulé et violé. L’enquête, conduite par le commissaire Lesage, personnage neutre et opaque incarné par une Valeria Bruni-Tedeschi à contre-emploi, sera menée tout au long du film, mais au second plan. Selon sa formule « Je suis pour les intrigues simples aux personnages compliqués », Chabrol relègue l’intrigue policière à l’arrière, et le meurtre initial n’est que l’élément déclencheur du film, le début d’échafaudage de sa construction.
Le vrai sujet de Chabrol, c’est le couple formé par Bonnaire/Viviane et Gamblin/René. Le cadavre de la petite Eloïse n’est là que pour être jeté tout chaud entre leurs bras, les nourrir. Autour d’eux gravite aussi un bellâtre écrivain, salonard parisien, médiatique et plein aux as, venant jouer les parvenus en province, (personnage joué avec beaucoup d’humour par Antoine de Caunes) : métaphore de l’air du temps, ce Desmot n’est qu’un peu de poudre aux yeux, de séduction facile que Viviane se permet en toute conscience. Mais sait-on jamais… Jusqu’où le couple apparemment parfait va-t-il se dérégler ? Et par quels chemins de traverse viendront les transformations et les mensonges ?
Les personnages vont pouvoir décliner leurs artifices, selon les moments opportuns et les changements de direction. Car dans cette histoire de mirage et de suspicion à tous les degrés, ce qui importe n’est pas la question du Bien et du Mal (la morale n’a jamais intéressé Chabrol), mais plutôt la façon dont chacun va se positionner, à tel moment, pour s’en sortir au mieux ou au plus mal. Chabrol joue ainsi sur une petite palette allégorique composée des différentes valeurs du mensonge. Son couple difficile, compact, en équilibre critique, ne tient que par un amour fort. C’est l’alliage de pôles opposés : l’extrême négativité de René, peintre en suspens donnant des cours de dessin, estropié par un coup du sort, et l’extrême positivité de Viviane, infirmière à domicile et véritable moelle épinière de René. Ce dernier est le personnage pivot, celui sur lequel Chabrol fait monter la pression tout au long du film. Accusé de meurtre, plongé dans le noir dès le début dans la scène de la plage où la lumière du jour baisse brutalement, il va devoir combattre dans l’obscurité, le vide, l’absence, comme durant les deux jours où Bonnaire part à Rennes. Les doutes se déploient et se déplacent au sein du couple, cisaillent malgré eux quelques liens, enflent comme la rumeur environnante, au gré des ruptures qu’aménage Chabrol.
On retrouve l’éternelle composition triangulaire (deux hommes, une femme), les personnages formant un incessant jeu de miroirs, chacun n’existant que dans ce que l’autre lui renvoie en écho. C’est par l’admiration secrète que lui vouait sa jeune élève Eloïse que René va délaisser les paysages pour revenir au portrait, et à l’incarnation violente. La scène la plus emblématique étant celle du tableau à la robe bleue, mise en abyme résumant parfaitement la situation en trompe-l’oeil du trio René-Viviane-Desmot.
Certes, nous sommes en terrain connu et Au coeur du mensonge ne possède pas la force et l’impact d’un film comme La Cérémonie, dont la tension implacable et dangereuse rôdait sous chaque scène, parcourait la pellicule comme un animal sauvage et traçait une nervure sèche jusqu’à la scène finale. La Cérémonie saignait les consciences comme une arme blanche. Au coeur du mensonge est plus inégal, plus attendu, moins tenu. La tension, ici interne, centrée sur le personnage de René et par rebond sur celui de Viviane, fait pâlir les scènes se déroulant hors de leur champ d’action. Il n’empêche que la relation du couple est profonde et intense, que les acteurs sont excellents et que l’on prend du plaisir à se laisser embarquer par la petite musique de Chabrol.
Au coeur du mensonge est un film somnambule, qui avance à l’image de la barque fendant lentement les brumes épaisses et glacées.
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