Bien que somme érudite sur le cinéma chinois, le livre de Bérénice Reynaud déçoit en oubliant l’esthétique. La Chine est ce territoire-signe qui, pour désigner au début du siècle la projection d’images photographiques en mouvement, avait trouvé la plus belle des formules : les ombres électriques. L’image est d’autant plus belle qu’elle s’avérera étonnamment juste, […]
Bien que somme érudite sur le cinéma chinois, le livre de Bérénice Reynaud déçoit en oubliant l’esthétique.
La Chine est ce territoire-signe qui, pour désigner au début du siècle la projection d’images photographiques en mouvement, avait trouvé la plus belle des formules : les ombres électriques. L’image est d’autant plus belle qu’elle s’avérera étonnamment juste, programmatique en ce qu’elle décrit d’avance les nouveaux cinémas chinois apparus depuis une bonne décennie et demie, les ombres errantes opiacées de Hou Hsiao-hsien et de Tsai Ming-liang comme les morceaux de solitudes perméables d’un Wong Kar-wai et l’hystérie agile de John Woo ou Tsui Hark. Un livre s’imposait pour résumer notre plaisir à chacun de ces voyages au pays des ombres sino-électriques. Il était tout naturel qu’il paraisse aux Editions des Cahiers du cinéma qui en 1984 avaient sorti, dans une indifférence alors générale, le hors-série Made in Hong Kong écrit et voyagé par Olivier Assayas et Charles Tesson, avec pour couverture un plan issu d’un film de Tsui Hark ce qui en 1984 n’avait rien d’évident, jeunes gens.
Bérénice Reynaud, correspondante américaine de la revue, fut celle qui, au travers d’articles de première source tirés de ses multiples voyages dans chacune des « trois Chines » (Chine pop, Hong-Kong, Taiwan), perpétua aux Cahiers les pistes lancées par ce numéro mythique. Pourtant, son livre nous laisse perplexes. Sans doute parce que sa question, qui est d’englober les grands thèmes de la Chine dans son reflet cinématographique, revient à poser comme méthode une analyse systématique des scénarios, d’une part pour qu’ils se rappellent à la mémoire du cinéphile mais surtout pour qu’ils fassent sens dans la lente démonstration de son auteur : le cinéma des trois Chines n’est qu’une scène, celle d’un long déchirement entre les îles elles-mêmes dans leurs relations complexes, un cinéma de rupture politique entre une culture traditionnelle ancrée dans une ruralité rouge sclérosée chez les uns et des élans de modernité urbaine emportée dans une machine de consommation totalement emballée chez les autres. Une vision fracturée, juste, partielle (elle ignore la production de masse au profit de noms peu cités qu’elle aidera à découvrir), mais irritante à la lecture, tant pour Bérénice Reynaud le cinéma est essentiellement ramené à son discours. C’est une lecture très anglo-saxonne, dont le peu d’échos qu’elle rencontre généralement dans l’édition française peut faire enrager. Pourtant, le lecteur le plus ouvert en ressort frustré : certes, le livre nous change peut-être des « fulgurances » tellement systématiques de la presse française… mais au point de ne rien vouloir savoir de cet espace-durée efflanqué que cultivent un HHH ou un Tsai Ming-liang ou de cette vitesse particulière au Hong-Kong cinéma qui sont à la naissance de notre fascination, on frôle le hors-sujet ! Vous vous demandez si une lecture nationale du cinéma est pertinente ? Si des films rassemblés pour avoir frotté des pieds sur le même paillasson économique ont cinématographiquement quelque chose à se dire ? Le livre de Bérénice Reynaud vous laissera dans l’expectative. Louons son érudition qui force le respect, mais pour l’esthétique, conseillons le Made in China récent dirigé par Charles Tesson et Olivier Joyard, indécrottablement français lui.
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