Les vacances de Monsieur Kitano. Road-movie au ralenti, terrain de jeux improvisés et gratuits, L’Eté de Kikujiro est une oeuvre de grande liberté.A première vue, si on le compare à la perfection narrative et formelle de Kids return et de Hana-bi, L’Eté de Kikujiro est un film de perte de maîtrise, un film à trous. […]
Les vacances de Monsieur Kitano. Road-movie au ralenti, terrain de jeux improvisés et gratuits, L’Eté de Kikujiro est une oeuvre de grande liberté.A première vue, si on le compare à la perfection narrative et formelle de Kids return et de Hana-bi, L’Eté de Kikujiro est un film de perte de maîtrise, un film à trous.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le jury cannois s’y est trompé et a décidé de ne pas récompenser ce qu’il a sans doute pris pour un « petit film », un film de vacances, un road-movie nonchalant privé d’enjeux forts. Il n’a pas su voir que derrière la modestie affichée de son projet, Kitano se met en danger comme jamais, refuse la posture de l’auteur omniscient pour réinventer son cinéma à vue, dans un effort de déconstruction qui rappelle les plus belles expériences de Rivette.
Comme Out 1, L’Eté de Kikujiro pourrait durer quelques heures de plus ou s’arrêter net à la première difficulté. Passé le premier mouvement de grue, l’envolée lyrique qui sanctionne le départ de Masao, le film manque de faire du surplace quand le petit garçon tombe nez à nez avec un gang de voyous. C’est alors que Kitano surgit pour rendre possible le voyage à la recherche de la mère. Mais cette première intervention salvatrice est un leurre. Car l’adulte-metteur en scène a oublié d’écrire son scénario ; il ne pourra compter que sur les vertus de l’improvisation, et dévoilera ainsi toutes ses faiblesses, quitte à tenter de les transformer en forces aux yeux
de son jeune spectateur.
Voilà donc un road-movie qui part le réservoir vide, sans compter que Kitano/Kikujiro ne sait même pas conduire une voiture. Mais que sait-il faire au juste ? L’enfant, mieux que quiconque.
« Ça n’a pas marché. » Le titre du quatrième chapitre du « livre d’images » de Masao est le même que la sanction sévère qui pèse sur le film tout entier. Tel Kikujiro qui ne peut régler la note d’hôtel, le film doit sans cesse inventer sa propre consommation. C’est sa plus grande force. Elle implique que l’émotion du mélodrame (un enfant veut retrouver sa maman) sera soit différée au-delà de toute mesure, avec des digressions à perte de vue, soit appliquée trop soudainement pour « tenir » les deux heures du film.
La « larme à l’oeil » a commencé par prendre le chemin des écoliers ; une fois présente au bout du chemin, elle sera insuffisante pour nourrir le temps du retour. Alors le film s’arrête, une fois de plus, le temps nécessaire à ravaler le sanglot, et devient suite de jeux saugrenus (« Inventons quelque chose, le gamin est triste »), comme dans Sonatine, sans aucune autre justification que l’hédonisme infantile.
Volées au temps de la dramaturgie comme à celui de la société, les scènes près de la rivière ont la beauté extrême de ce qui est inutile et imparfait. Là, sous nos yeux, un film se met à exister comme nul autre, avec trois fois rien, mais sans omettre de signaler qu’il faut beaucoup d’imagination pour se réapproprier l’univers, et parvenir ainsi à oublier sa peine. Il ne s’agit plus d’occuper son temps ou son film mais d’en créer un autre.
Pour parvenir à ses fins et concevoir un cinéma souverainement libre, Kitano joue sur tout, sur les hausses (rares) et les baisses (nombreuses) d’intensité dramatique comme sur les durées et les distances, non pas abolies mais indécidables le sublime zoom arrière sur la « pelouse interdite ». De ce jeu permanent naît un suspens burlesque, donc métaphysique : de quoi sera fait le plan d’après ? dans quelle posture tordue se retrouvera Kikujiro ?
Comme tous les plus grands cinéastes contemporains, comme Kubrick, Straub, Oliveira, Kiarostami ou Ferrara, comme les Dardenne aussi, Kitano choisit l’épuisement d’un lieu, d’une situation, d’un personnage comme poétisation du réel. Au lieu de passer, vite fait mal fait, il insiste. Aux risques et périls du spectacle, mais pour le plus grand bénéfice de son cinéma hautement sentimental.
Et l’accusation de mièvrerie, proférée par ceux qui se sont trop habitués à Titanic, finit de tomber quand Kitano lâche l’ultime sésame : « On retournera chercher ta mère. » Comme si le mélodrame familial aussi s’était fait jeu d’une extraordinaire fécondité, comme si on pouvait enfin en pleurer après en avoir tant ri.
{"type":"Banniere-Basse"}