“Bécassine fait de la peinture à la campagne”. Voilà comment on pourrait résumer de façon lapidaire cet étrange moyen métrage, à la fois naturaliste ou plutôt naturiste au sens étymologique et précieux, à l’image de son héroïne, Suzanne, une douce dingue qui se pique d’art mais passe le plus clair de son temps […]
« Bécassine fait de la peinture à la campagne ». Voilà comment on pourrait résumer de façon lapidaire cet étrange moyen métrage, à la fois naturaliste ou plutôt naturiste au sens étymologique et précieux, à l’image de son héroïne, Suzanne, une douce dingue qui se pique d’art mais passe le plus clair de son temps à se prélasser comme une couleuvre dans sa bicoque, se faisant servir comme une princesse par sa femme de ménage espagnole, Maria.
En lieu et place d’une intrigue classique, on trouve plutôt une série d’épisodes informels : Suzanne achète un chien ; Suzanne abandonne son chien ; Suzanne chante La Norma. Etc. Autant de saynètes où la loufoquerie est relativisée par la simplicité vraie des décors naturels, du paysage, des situations. A priori, on se trouve dans un monde désuet, dérisoire, limite grotesque à la Deschiens, mais avec un zeste de poésie en plus, un supplément d’âme qui fait passer la pilule et ne la rend pas amèrement parodique. En fait, Yves Caumon procède à la façon d’un peintre naïf qui, sans utiliser une forme fruste, synthétiserait à l’extrême les scènes et les personnages pour les libérer des clichés, des normes sociales. Chaque personnage a une fonction précise, stéréotypée le facteur, la femme de ménage, l’artiste , mais son comportement ne cadre pas avec son image. Le cinéaste nous propose donc une vision exotique d’une réalité banale et quotidienne. Un peu comme Iosseliani qui, en reconstituant la vie d’un village africain traditionnel dans Et la lumière fut, en offrait une vision tout à fait irréelle et farfelue.
Mais ce qui fait le charme tenace de cette oeuvre décalée c’est surtout le mélange permanent de trivialité et de sophistication ou, en poussant un peu, de religieux et de profane. Ainsi, Suzanne descend majestueusement son escalier en mimant en playback Casta Diva, la célèbre aria tragique de Bellini interprétée par la Callas, puis elle se précipite dans la cuisine pour arrêter le lait qui bout. Ou bien elle demande au facteur en uniforme de poser avec la femme de ménage pour une de ses peintures : le tableau vivant qu’ils forment évoque comiquement une Annonciation. Toutes proportions gardées, on n’est pas loin de penser à Pasolini qui avait un tel goût pour les contrastes et les juxtapositions impures.
Vincent Ostria
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