La fin de la scène disco vue par l’oeil intelligent de Whit Stillman. Avec en prima donna Chloë Sevigny, qui illumine les nuits new-yorkaises de sa langueur sombre et discrète.Sortie L’histoire est légendaire : pour conspuer la spirale de l’échec devant une entrée du Studio 54 qui leur était systématiquement refusée, deux filles louèrent un […]
La fin de la scène disco vue par l’oeil intelligent de Whit Stillman. Avec en prima donna Chloë Sevigny, qui illumine les nuits new-yorkaises de sa langueur sombre et discrète.Sortie L’histoire est légendaire : pour conspuer la spirale de l’échec devant une entrée du Studio 54 qui leur était systématiquement refusée, deux filles louèrent un cheval blanc. « Le cheval entre. Mais pas vous ! », leur répondit un physio rigolard. Oui, c’est n’importe quoi. Mais rien dans le clubbing n’a symboliquement plus d’importance que ces instants d’incertitude durant lesquels il vous faut affronter la porte. Entrer coûte que coûte, pour appartenir à une élite désignée. Mais une fois à l’intérieur du club, de toute façon décevant, il va falloir constituer autour de cette danse une communauté, pour insister sur cette illusion de caste, en exagérer la portée bien après le lever du jour…
Voilà ce que décrit en détail (mais avec bavardage) The Last days of disco, beau film terminal de Whit Stillman (Metropolitan), ex-« nouveau Woody Allen ». Woody goes clubbing, donc, mais sur le tard alors que les carottes sont cuites et que le rêve a déjà pris la poudre d’escampette. En filmant avec intelligence des scènes de boîte dénuées de mythologies, en osant affronter les scènes de jour, Stillman évite le cynisme sans tomber dans l’apologie de la culture weekender (je sors pour oublier ma semaine), mettant en scène dans sa première partie quelque chose de plus tenu : le plaisir de danser avec ses amis jusqu’à ce que la nuit s’enlise, lorsqu’il finit par déborder sur le reste de votre vie. Et c’est tout ? Oui.
Déception en vue pour un public né du dernier Cassius. Ce film sait décevoir pour proposer en commentaire souterrain une BO continûment au summum, un score d’une grâce pré-house satellisé autour de la paire Nile Rodgers/Bernard Edwards (Chic, Sister Sledge, Diana Ross) qui prolonge le scénario. Pour exemple, ceux qui reprochent à ce film sa vision exclusivement hétéro (effectivement, c’est un comble) oublient que c’est sous la basse létale du I’m coming out de Diana Ross (morceau signe de reconnaissance queer) qu’apparaissent des garçons dansant comme révélés à eux-mêmes. C’est court certes, mais préférable à une armée de drags. Et le film abonde ainsi en détails qui en disent plus long que les tonnes de dialogues bitch. Et surtout il y a Chloë Sevigny (Kids, Gummo), d’une beauté réussissant à résoudre la quadrature du cercle : comment, dans un club, ne pas faire poufiasse alors qu’on est blonde ? Son élégance mid-tempo fait de sa silhouette un modèle. Souvenez-vous des nuits qui suivirent la publication de ses photos dans la presse britonne… Une armée de néo-Jean Seberg prenait d’assaut les soirées Respect, toute barrette dans les cheveux, dansant avec cette même façon désinvolte de plier le poignet en relevant d’une main la jupe au dessous du genou. Chloë déplace l’essence du disco (et a fortiori de la house), distillant autour d’elle une attitude totalement détachée, une mélancolie noyée dans du champagne.
Ce film agace, aimant un peu trop vite à rappeler que la disco nation, communauté sans discours et essentiellement exhibée, n’a pas été livrée aux yuppies mais les a enfantés. Comme Mademoiselle de Sevigny joue dans l’adaptation à venir d’American psycho, on peut dire la boucle bouclée. Aujourd’hui, le pessimisme de ce film vieux de deux ans résonne avec sa sortie française au moment précis où, soyons lucides, chacun commence à sentir l’odeur triste des derniers jours de la house (fin des soirées Respect, musique de plus en plus mercantile, esprit soi-disant festif…). Si, comme il est dit dans une scène qui prête à sourire jaune, le disco ne mourra jamais (de Larry Levan aux Masters At Work, la tradition disco n’a jamais quitté NY en vingt ans) et s’il aura trouvé dans la house sa réincarnation, on aimerait que le constat amer de ce film en costumes ne connaisse pas de triste répétition historique. Nous sommes fin août, sortirons-nous autant cette année encore ?