En 64, Chahine tourne une coprod égypto-soviétique qui déplaît à la censure. Ce chatoyant film d’aventures sort enfin. Il s’agit bien d’une sortie, pas d’une reprise. Tourné en 1964, juste après Saladin, cette coproduction égypto-soviétique filmée en Sovcolor a déplu à la censure des deux pays. Pour éviter le scandale ou pire, Chahine a dû […]
En 64, Chahine tourne une coprod égypto-soviétique qui déplaît à la censure. Ce chatoyant film d’aventures sort enfin.
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Il s’agit bien d’une sortie, pas d’une reprise. Tourné en 1964, juste après Saladin, cette coproduction égypto-soviétique filmée en Sovcolor a déplu à la censure des deux pays. Pour éviter le scandale ou pire, Chahine a dû tourner un second film, avec des acteurs et un scénario différents, Ces gens du Nil. Pour mener à bien cette seconde version, qu’il a toujours reniée, il avait prélevé tous les plans exploitables dans le négatif de la première, le rendant définitivement impropre à une restauration. Mais il avait pris soin de garder une copie positive de la première version qu’il déposa chez Henri Langlois au début des années 70. Voilà comment le désastre de l’anéantissement a été évité, voilà pourquoi Youssef Chahine sort deux grands films coup sur coup, L’Autre et Un Jour, le Nil.
Mélangeant allégrement images documentaires de la construction du barrage d’Assouan et intrigues multiples et échevelées, unifié par une voix off féminine qui traduit certains dialogues en russe et voyageant d’un seul raccord de la Nubie à la Volga, Un Jour, le Nil est un chaos très organisé, un superbe livre d’images qui ne s’intéresse qu’à ses personnages et ne cherche même pas à dissimuler leurs pulsions homosexuelles ou leurs frustrations d’exilés, une superproduction de circonstances qui met en scène son scepticisme profond quant à la bonne marche du progrès et l’édification du socialisme. Loin d’être l’hymne à l’industrialisation et à la collaboration béate entre les peuples qu’attendaient Nasser et Brejnev, le film se soucie comme d’une guigne de la ligne officielle et fait la part des choses, entre poids de la bureaucratie et inondation forcée des villages nubiens qui auront moins de chance qu’Abou Simbel, désespoir d’un opposant au régime nassérien qui fait son retour à la base et doutes de l’ingénieur russe qui manque de ployer sous le gigantisme du projet. D’un universalisme réel mais toujours fondé sur le très particulier, l’humanisme chahinien délaisse l’idéologie pour inventer un lyrisme de proximité, un souffle épique qui part du quotidien. Et Chahine de retrouver ainsi la geste certes didactique mais si incarnée du Dovjenko de La Terre et d’Ivan, du Dovjenko qui déclarait : « Si notre pays est un grand pays, c’est que les petites gens y sont grands. »
Foisonnant d’intrigues parallèles ou perpendiculaires et peuplé d’une multitude de personnages tous principaux, Un Jour, le Nil est à la fois un film d’aventures enthousiasmant, un mélodrame à entrées multiples et une réflexion politique lucide mais pas désabusée. Comme souvent chez Chahine, c’est aussi un film expérimental, au culot si grand que plus c’est gros mieux ça passe, qui fait exploser des détonations dans l’appartement d’un Russe d’Assouan afin de le raccorder à ses souvenirs de la bataille de Stalingrad. Ce film ne pouvait pas plaire à ses commanditaires. Mais c’était pour mieux nous enchanter aujourd’hui.
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