Une contractuelle veut échapper à son identité. Un premier film âpre et mélancolique, brillamment écrit et interprété. A 30 ans, il est encore temps de changer de vie, de chasser une image de soi défectueuse installée à son insu. Entre ce que Solange Rouault projetait d’être et la vie qu’elle mène, le contraste est […]
Une contractuelle veut échapper à son identité. Un premier film âpre et mélancolique, brillamment écrit et interprété.
A 30 ans, il est encore temps de changer de vie, de chasser une image de soi défectueuse installée à son insu. Entre ce que Solange Rouault projetait d’être et la vie qu’elle mène, le contraste est douloureux. En lui faisant enfiler l’uniforme bleu d’un des métiers les plus ingrats, celui de contractuelle, Stéphane Brizé ne fait qu’alourdir sa camisole quotidienne. Coincée entre un mariage qui n’est que la répétition de celui de ses parents, avec un gentil garçon insipide, genre bricoleur mortellement ennuyeux, et les humiliations qu’elle subit toute la journée, Solange se prend à ne plus vouloir voir, entendre, ni réagir. Comme elle le dit à un moment, elle se « désolidarise ». Mot-clé, qui va valoir pour tout ce qui régit son existence. Le facteur déclencheur sera Mylène, une amie d’enfance devenue présentatrice météo à la télé, qui passe en coup de vent dans sa ville de province pour la sortie de son livre. La confrontation sera rude pour Solange, qui ressent soudain avec violence à quel point elle a honte de tout ce qui la représente de l’extérieur : son mari qui travaille à la morgue, son reflet dans le miroir à la librairie.
Le réalisateur décline l’état d’âme malade de son héroïne en un portrait doux-amer, avec beaucoup de sensibilité. Solange n’a droit qu’à des discours oppressifs et à des espaces exigus et formatés, son petit casier gris d’aubergine, les trottoirs des rues, le salon étriqué de son enfance, l’encadrement serré des portes de l’appartement du couple, la maison Bouygues qui s’échafaude comme une condamnation à perpétuité. Pour Solange, plus rien n’a de saveur, elle a beau lancer des signaux d’alarme, son mari désorienté en verrouille encore plus les issues. C’est l’obsession du lissage dans cet étouffoir familial où règne la sécurité à tout prix. C’est la tyrannie du système normé, alors que Solange ne rêve plus que de faire éclater cette structure mise en place autour de son corps et de son crâne.
Florence Vignon, qui a coécrit le scénario, fait physiquement passer ce malaise, à la fois frêle et déterminée, les yeux dans le vague même si l’on sent une force réelle tapie dans l’ombre, elle ne se sent nulle part à sa place mais sait qu’elle ne peut plus faire marche arrière. En secret, elle chante dans son salon devant un Caméscope. Lorsqu’elle débarque à Paris chez Mylène, pour devenir chanteuse et effacer son identité précédente, Brizé filme les différences de codes relationnels entre Paris et la province, avec une douce cruauté. Car si l’on rit de la beauferie du mari et des parents, si la naïveté de Solange fait sourire, Brizé a une grande tendresse pour ses personnages et ne les fusille jamais par le mépris. Il les dote d’une richesse intérieure suffisante pour qu’ils puissent se défendre. Par son relief mélancolique et âpre, par sa qualité d’écriture et sa caméra attentionnée, Le Bleu des villes conquiert toutes nos faveurs, même s’il aurait gagné à être un peu plus resserré.