Courtisé par le chef de l’Etat, qui veut éviter la multiplication de candidatures à droite en 2012 en raison de la menace Marine Le Pen, Dominique de Villepin opère un retour en grâce en Sarkozie.
Le croc de boucher pourrait bientôt être remisé au rayon des accessoires. Nicolas Sarkozy a entamé un rapprochement spectaculaire avec son ennemi public numéro un. En dix jours, deux rendez-vous à l’Elysée avec Dominique de Villepin, officiellement pour parler politique étrangère et G20.
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Le convive n’est pas dupe :
« En ce moment, Nicolas Sarkozy est dans une logique de survie, il cherche à retrouver du jeu, des marges de manoeuvre, les territoires amis sont épuisés, il lui faut donc aller vers les territoires ennemis. »
Dominique de Villepin parle drôlement du « donjuanisme politique » du chef de l’Etat, qui ne s’intéresserait qu’à la conquête de nouveaux alliés, oubliant le lendemain ceux qu’il a séduits la veille.
Mais l’ancien Premier ministre ne va pas jusqu’à commenter les rumeurs sur son retour dans le jeu gouvernemental. Il note juste qu’avec ses invitations à répétition le chef de l’Etat « adresse aussi un message à ses amis », comme Alain Juppé, que son ancien directeur de cabinet au Quai d’Orsay a pris soin d’appeler avant d’aller à l’Elysée. Ou François Fillon…
Le 15 mars, en déplacement à Bruxelles, Dominique de Villepin prend connaissance des déclarations du Premier ministre, qui a dénoncé ses « propos lamentables, déplacés et indignes » sur l’attitude de « déni » du gouvernement dans la crise nucléaire japonaise. « Il a peur de perdre sa place ! », lance l’ancien secrétaire général de l’Elysée dans un éclat de rire.
Une relation mystère
La rumeur avance en effet que Nicolas Sarkozy a proposé Matignon à Villepin, qui n’aurait pas dit oui, mais qui n’aurait pas dit non, liant même une éventuelle réponse positive à la réduction de la taille du gouvernement. Coïncidence. Dans une interview à Nice-Matin, jeudi, expliquant son projet de « refondation institutionnelle », le président de République Solidaire « propose de réduire à dix le nombre de ministères et de les stabiliser dans la durée ».
Le mystère entretenu sur sa relation avec Nicolas Sarkozy sert aujourd’hui les intérêts politiques de Dominique de Villepin. Dans les sondages, qu’il étudie avec un détachement simulé, l’ancien Premier ministre atteint 7 % des intentions de vote au premier tour d’une élection présidentielle. Un petit matelas suffisant pour empêcher Nicolas Sarkozy de dormir sur ses deux oreilles. Surtout que les enquêtes prédisant une élimination au premier tour du président sortant, au bénéfice de Marine Le Pen, se suivent et se ressemblent. Il y a donc urgence pour Nicolas Sarkozy à contrer toutes les candidatures potentielles à droite.
Voilà donc Dominique de Villepin en position de force face au chef de l’Etat, qui l’a pourtant contraint à un marathon judiciaire en faisant interjeter appel dans le procès Clearstream. Acquitté en première audience, l’ancien ministre des Affaires étrangères sera jugé une deuxième fois en mai. Si la clémence est confirmée en appel, beaucoup à l’UMP estiment qu’une nouvelle page s’ouvrira entre les deux rivaux.
Dans l’intervalle, Dominique de Villepin, qui estime que Nicolas Sarkozy peut poursuivre sa chute dans l’opinion, entend bien consolider son image d’alternative à droite. Fin février, il a annoncé qu’il quittait l’UMP. Le 14 avril, il présentera lors d’une conférence de presse ses propositions pour « répondre aux demandes des Français », notamment en matière de justice sociale. Auparavant, le 4 avril, Dominique de Villepin ira déjeuner avec des ouvriers dans une usine proche d’Orléans.
Pour l’ancien lieutenant de Jacques Chirac, « Nicolas Sarkozy a cramé le moteur travail qui lui avait fait gagner la présidentielle de 2007, alors il agite les essuie-glaces de l’identité nationale, mais ce n’est pas ça qui fait redémarrer sa voiture ». A ses yeux, le chef de l’Etat a, de plus, fait perdre à la France sa « singularité » sur la scène internationale en réintégrant sans contrepartie le commandement intégré de l’Alliance atlantique.
» La France avait la capacité de tendre la main aux plus lointains, aux plus radicaux (…) Aujourd’hui, on ne nous entend plus ou alors le message de la France, c’est la peur, la peur de l’immigration, des trafics… Il faut revenir à une diplomatie de la complexité. La clé ? Laissez la peur à sa place ! », lance l’ancien ministre des Affaires étrangères.
Sévère sur ce président qui n’arrive pas à » reconnaître ses erreurs », Dominique de Villepin, qui a prononcé un mea-culpa après l’échec de la réforme du CPE, estime que Nicolas Sarkozy « reste sur l’image du cerf qui saigne et qui, s’il met un genou à terre, est achevé ». « Moi, je pense qu’à un moment donné la bête blessée suscite la compassion, et donc une énergie nouvelle, on inverse alors le rapport au peuple. »
Du statut d’opposant à celui de conseiller
« Nicolas Sarkozy est convaincu qu’il s’imposera dans le sprint final, il est hanté par les responsables politiques qui ont reculé, Mitterrand en 1982, Chirac en 1995… Lui veut être celui qui ne recule pas », se désole Dominique de Villepin qui passe, en quelques phrases, du statut d’opposant à celui de conseiller. Comme lorsqu’il appelle de ses voeux une action forte de la France en Libye.
Cette ambiguïté sera forcément levée un jour ou l’autre. La longue histoire de l’inimitié entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin est jalonnée d’épisodes de haine pure et de rapprochements improbables.
Dans le train qui le ramène de Bruxelles, la voix du conducteur interrompt l’ancien Premier ministre dans sa réflexion sur la renaissance de la politique :
« Nous sommes actuellement immobilisés sur la voie de gauche, qui est en panne. Nous attendons le passage de quelques trains pour changer de voie et rejoindre la voie de droite. »
Un passager lance à Dominique de Villepin : « Vous allez nous aider à changer de voie ? » « Bien sûr ! », répond l’ancien Premier ministre. Sans dire encore quelle place il occupera dans la cabine de pilotage.
Hélène Fontanaud
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