Entre cinéma, art et expérimentation, les films courts d’Erró et Yoko Ono scrutent l’au-delà des corps et des visages.Rétrospective des films d’Erró et de Yoko Ono Alors qu’une part de l’art contemporain repose aujourd’hui sur un défilé de corps, la galerie du Jeu de Paume revient comme un antidote sur les visages agrandis, multipliés, défigurés […]
Entre cinéma, art et expérimentation, les films courts d’Erró et Yoko Ono scrutent l’au-delà des corps et des visages.Rétrospective des films d’Erró et de Yoko Ono
Alors qu’une part de l’art contemporain repose aujourd’hui sur un défilé de corps, la galerie du Jeu de Paume revient comme un antidote sur les visages agrandis, multipliés, défigurés du cinéma des avant-gardes sixties. Un cinéma qui disait avec force désinvolture combien l’art est dérisoire, combien la figure de l’artiste n’est qu’une tronche de l’art. Le peintre pop Erró a ainsi basé sa brève oeuvre cinématographique (quatre courts entre 1962 et 1967) sur la saisie des visages et de leur torsion. Grimaces est fidèle à son titre et ces « cinémathons » en trombines, cette galerie de portraits (de Duchamp à Stella) tous sourcils froncés et doigts dans le nez, déclenchent en nous une hilarité dada prolongée par la poésie sonore de l’ultralettriste François Dufrêne. Faces (1962-1967) est plus proche encore de l’oeuvre peinte d’Erró critique basée sur l’accumulation de biens de consommation, une satire de la saturation du marché et des images proliférantes : c’est un film de onze minutes où chaque photogramme vaut pour un visage différent, ce qui nous fait donc une pile de 15 840 faciès déversés à une vitesse prémorphing qui fait tourner la tête. On a souvent rapproché Erró de Baudrillard, mais avec ce film, c’est plus encore la réflexion récente d’un Jean-Paul Curlier sur le bombardement des événements qu’il prépare. Car à cette vitesse, l’événement supplante la réalité et la surproduction fait exploser la chair de l’être.
« Si ma tête est malade, tu peux toujours parler à mon derrière », lui répondait Yoko Ono qui, avant d’être une endive en cheveux passant ses journées au lit avec une icône baba, assura une belle part de la production des films Fluxus. Bottoms (1966) est un film de cul, littéralement, filmant des fesses prises de si près qu’elles créent une surface-écran mouvementée et moulante, entaillée d’une fente noire comme dans un tableau de Lucio Fontana. Ce qu’aura filmé Yoko Ono, paradoxalement si l’on prend en compte que Fluxus fut avant tout un mouvement de vie, c’est la disparition de l’humain au profit de la figure. La référence anthropomorphique ne joue plus dans Eye blink et One (1966 aussi), deux films tournés avec une caméra à 2 000 images/seconde : ralentis à ce point, on ne reconnaît plus les battements d’une paupière ou la consumation d’une allumette, on voit en lieu et place un territoire plastique inédit et mouvant, né d’une expérience scientifique voisine de celles de Marey et Bull au tout début du cinéma. Un au-delà du corps. Dans Fly (1970), une mouche se promène sur un corps nu de femme dont la fente renvoie à L’Origine du monde, le tableau de Courbet alors invisible. Le corps est inanimé. Les mouches aiment les cadavres, mais celui-ci est-il celui de l’oeuvre ou celui de l’artiste ? Ono filme l’origine d’un crime, d’un doute et d’un monde le nôtre.
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