Mario Martone saisit avec talent la pulsation de sa ville, Naples, et réussit ce qui devient rare : un bon film italien. Découvert à Cannes l’année dernière et accueilli avec indifférence, Teatro di guerra est le dernier volet de la trilogie napolitaine du très discret Mario Martone, après les plus inégaux Mort d’un mathématicien napolitain […]
Mario Martone saisit avec talent la pulsation de sa ville, Naples, et réussit ce qui devient rare : un bon film italien.
Découvert à Cannes l’année dernière et accueilli avec indifférence, Teatro di guerra est le dernier volet de la trilogie napolitaine du très discret Mario Martone, après les plus inégaux Mort d’un mathématicien napolitain et L’Amore molesto, tous deux distribués en France. Alors qu’à la lecture du scénario tout laissait craindre le pensum théâtreux, Teatro di guerra, sous ses dehors un peu ringards, est une belle réussite. C’est l’histoire d’une petite compagnie théâtrale napolitaine qui décide de partir représenter Les Sept contre Thèbes d’Eschyle à Sarajevo, en plein conflit yougoslave. La très bonne idée du film, c’est que l’on ne verra jamais ce voyage des comédiens, contrairement par exemple à Forever Mozart de Godard, vision définitive et ténébreuse de la question. Ici, on est à Naples, et pour le moment on y reste. Martone évite ainsi les deux écueils monumentaux, politique (genre : mon avis sur la crise des Balkans, à la Angelopoulos) et narratif (du théâtre filmé dans une ville en ruine, sympa), qui auraient pu faire sombrer le film. Martone, l’un des principaux animateurs du renouveau culturel napolitain, décide une fois encore de filmer sa ville et ses comédiens au travail dans le cadre du petit théâtre de quartier qu’il a dirigé pendant des années avec sa compagne, Anna Bonaiuto, avant d’être nommé en novembre à la tête du Théâtre de Rome. Malgré cette forte composante théâtrale, Martone ne fait pas du théâtre filmé, il filme le théâtre avec un oeil de cinéaste, ce qui n’a rien à voir. Cela se traduit par une caméra mobile, qui suit au plus près les corps mobiles des acteurs, tous formidables et pour la plupart dénichés à Naples. Teatro di guerra, considéré par son auteur, rencontré à Cannes, comme un « instrument mobile », une « structure vivante », s’est construit au fil des répétitions tendues, débutant comme un enjeu intime avant de trouver progressivement sa forme. Cette grande liberté permet à Martone de ne pas se cantonner à un fastidieux filmage de répétitions mais d’ouvrir sans cesse son film sur l’extérieur, les lieux napolitains (les périlleux Quartiers Espagnols, lacis de ruelles pentues dans lesquelles il ne fait pas bon s’aventurer la nuit). C’est sans doute la plus belle partie du film, qui fait vivre autour du quotidien de la compagnie toute une myriade de personnages secondaires, de petits trafiquants, sans jamais sombrer dans la caricature d’une réalité sociale qui parle d’elle-même. En entrelaçant ainsi une trame plutôt lâche (les répétitions), le fourmillement urbain, et les échappées nocturnes des deux protagonistes (Anna Bonaiuto, bien meilleure que dans L’Amore molesto, et Andrea Renzi) perdus dans une rave violente dans des docks à l’abandon, avant de tout réunir au cours de la fête finale, triste et euphorique, Martone montre une vraie virtuosité de cinéaste. Et peut-être, plus subtilement, tout juste en transparence, le film nous transmet-il aussi un certain désarroi contemporain face à des problèmes géopolitiques dont on ne comprend pas bien les enjeux.