Le roman d’un scélérat. Scénariste de Chabrol et René Clément, mauvais génie de Rohmer, Paul Gégauff était aussi un romancier singulier. En 1957, lorsque Paul Gégauff publie son troisième roman, Rébus, il est inconnu du grand public et des milieux du cinéma. Bien qu’ayant écrit en 1950 le premier court métrage aujourd’hui perdu de son […]
Le roman d’un scélérat. Scénariste de Chabrol et René Clément, mauvais génie de Rohmer, Paul Gégauff était aussi un romancier singulier.
En 1957, lorsque Paul Gégauff publie son troisième roman, Rébus, il est inconnu du grand public et des milieux du cinéma. Bien qu’ayant écrit en 1950 le premier court métrage aujourd’hui perdu de son ami Eric Rohmer, Journal d’un scélérat, il devra attendre 1959, Plein soleil et Les Cousins, pour accéder à la notoriété en tant que scénariste. Mais il s’est déjà fait un (petit) nom dans le monde de la littérature, qui suffit à fasciner les jeunes cinéphiles Chabrol et Godard. Les Mauvais plaisants (1951) et Le Toit des autres (1952), déjà édités par les Editions de Minuit, ont été salués par Georges Bataille et Roger Nimier.
Aujourd’hui réédité par les éditions Le Passeur (qui ont eu la bonne idée, en fin d’ouvrage, de joindre une notice biographique fort bien documentée sur Gégauff), Rébus que l’on voit brûler parmi d’autres livres dans Farenheit 451 de Truffaut était le roman préféré de son auteur. Oeuvre pour le moins étrange, faussement ou réellement ésotérique, où les êtres se complaisent à des ratiocinations aptères, Rébus baigne dans un climat de complot inexistant que ne renierait sans doute pas non plus Rivette.
Le lecteur fait connaissance d’un petit cercle d’amis qui semble fonctionner selon des codes nébuleux et s’épanouit dans la misogynie, le nihilisme et le cynisme. S’y côtoient un noble japonais et un vieillard gâteux et rasoir, plus un tas de jeunes gens oisifs et très intelligents. Rodolphe, le chef de la bande, un dandy argenté (Jean-Claude Brialy dans Les Godelureaux, avec ses robes de chambre en cachemire et son ennui hautain), a des occupations perverses et vaines, à la fois excessivement et pas du tout michaldiennes. Il invite un jour ses « amis » à un déménagement comme l’on invite à un faste. Ils ne seront pas déçus du voyage. C’est un peu comme si, un an après Marienbad, Blanchot, Dostoïevski, Buzzati, des Forêts, Klossowski et Bataille se réunissaient chez Balthus pour fêter son permis de conduire. Mais les mots serviront à déguiser, mettre en scène et brouiller une réalité assez haïe. Gégauff les manie avec aisance, jubilation et vivacité, empruntant parfois le style d’un libertin du XVIIIème, parfois celui d’un romancier du xixème siècle, ou même, pourquoi pas, celui d’un poète moderne. Seulement, au lieu de se pencher sur le comportement de ses contemporains, il préfère appliquer son esprit d’analyse à démonter les mécanismes délirants de sentiments fallacieux ou à décortiquer des architectures tarabiscotées qui forment un rébus incompréhensible. Il parvient ainsi à créer cette atmosphère bizarre, interlope et délétère, propre aux scénarios qu’il écrira pour Chabrol (comme ceux des Bonnes femmes, de L’oeil du Malin ou des Biches) et auxquels le cinéma apportera avec plus ou moins de succès ce qu’il a de meilleur : le réalisme.
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