Usual suspects n’a rien perdu de son charme ni Keyser Soze de son éclat. Revoir le film en vidéo permet d’oublier ses quelques lourdeurs plastiques pour mieux apprécier la virtuosité narrative et goûter sciemment au plaisir d’être berné. « Raconte-moi une histoire. Convaincs-moi, je veux tous les détails », dit le flic tenace/spectateur naïf au truand rescapé/improvisateur […]
Usual suspects n’a rien perdu de son charme ni Keyser Soze de son éclat. Revoir le film en vidéo permet d’oublier ses quelques lourdeurs plastiques pour mieux apprécier la virtuosité narrative et goûter sciemment au plaisir d’être berné. « Raconte-moi une histoire. Convaincs-moi, je veux tous les détails », dit le flic tenace/spectateur naïf au truand rescapé/improvisateur génial. Le drame de ce flic est de ne pas connaître le hongrois, de ne pas savoir que Keyser Soze signifie « le roi des bavards », que Verbal Kint est bien proche de Verbal King et qu’en matière de fiction, ce prévenu va dépasser ses plus folles espérances.
Mais, maintenant qu’on en connaît le fin mot, cette histoire tient-elle la route ? Y a-t-il des failles dans le dispositif ? La jubilation de savoir comment on est manipulé vaut-elle le plaisir premier de l’être ?
Donc, revoir Usual suspects tient d’abord du jeu, celui du « Cherchez l’erreur ». Il n’y en a pas. Clos sur lui-même, comme les innombrables figures rondes (tasses, hublots, grottes…) qui servent aux raccords, le scénario de Singer et McQuarrie est parfait. Objet théorique né des ruminations de deux cinglés, inspiré de la plus célèbre dernière réplique de l’histoire du cinéma, vecteur pour une exploration amoureuse du genre, il résiste à l’examen le plus détaillé, à l’interrogatoire le plus poussé. Le « Cherchez l’erreur » se transforme vite en « Cherchez l’indice ». Il y en a beaucoup, presque trop le long regard de Verbal sur le tableau n’étant que le plus évident. Tant et plus qu’on se donnerait des baffes pour ne pas les avoir vus la première fois, avant de finir par comprendre que le scénario a aussi bien intégré la seconde vision que la première et que ces pistes sont là uniquement pour nous faire plaisir.
Car, au-delà de son immense savoir-faire et de la transgression généralisée de la loi hitchcockienne à propos du faux flash-back (voir ce que disait le maître sur Le Grand alibi), le film a eu l’intelligence de représenter à l’écran l’amateur de romans policiers qui se croit plus malin que les autres, le mauvais public à qui on ne la fait pas. Comme on n’en est plus à un paradoxe près, ce sceptique sera le flic. Face à lui, le scénariste, le metteur en scène et l’acteur ne font plus qu’un. Soudés pour mieux nous tromper, ils ont raison de faire confiance à notre manie du délire interprétatif. C’est tellement bon de se tromper…