Les lois de la gravité. Doillon organise un curieux marivaudage, aussi séduisant qu’agaçant, entre Théorème de Pasolini et Club des Cinq. Trop (peu) d’amour est un film fondé sur le principe de l’attraction/répulsion, principe qui opère ici autant à l’intérieur de l’action que du point de vue du spectateur. Emma, pivot dévastateur de l’histoire, est […]
Les lois de la gravité. Doillon organise un curieux marivaudage, aussi séduisant qu’agaçant, entre Théorème de Pasolini et Club des Cinq.
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Trop (peu) d’amour est un film fondé sur le principe de l’attraction/répulsion, principe qui opère ici autant à l’intérieur de l’action que du point de vue du spectateur. Emma, pivot dévastateur de l’histoire, est le prototype de l’adolescente, égocentrique, suicidaire, exclusive, extrême, exaspérante. Admiratrice fanatique de Paul, réalisateur momentanément en mal d’inspiration et transfert de son père, elle lui adresse un synopsis. Paul vit avec sa fille Camille et sa compagne Margot, isolés du monde dans un château sur les hauteurs. Il l’invite à venir passer quelques jours chez eux. Emma, à la silhouette androgyne, va donc s’introduire dans le huis clos, et s’acharner à séduire toute la famille. Sur le principe « J’aime Paul, il t’aime, donc je ne peux que t’aimer » (pour mieux t’évincer), elle va vouloir se substituer à Margot puis à Camille, prendre la place de celles aimées par Paul afin de se placer sous son regard et de voler cet amour qui ne lui revient pas. Emma est une intruse qui veut « bouleverser les autres » à tout prix, une manipulatrice jouant avec une arrogance tout adolescente sur sa propre fragilité et sur la complexité et les faiblesses des rapports adultes. Elle a phantasmé ses relations avec Paul et son entourage, s’est chargée d’un amour mental… Elle est comme une anorexique le ventre vide et la tête pleine de phrases et de convoitises qui va devenir boulimique de cette réalité des corps dont elle est privée. Elle va traquer ses proies, déposant dans l’oreille de chacune son petit poison et laissant le ravage s’accomplir dans les coeurs et les esprits. Mais Emma ne continue d’exister que dans la mesure où elle parvient à créer un sentiment de dépendance envers elle, chez Paul, dont le « côté pas fini » l’attire tant, et chez Margot dont la peur panique de l’abandon se traduira par une réaction masochiste. La mise à l’épreuve constante qu’elle impose est consentie par ses victimes.
Le film fonctionne par ondes de choc, en cercles concentriques Emma est comme un caillou jeté dans les eaux calmes de Paul, Margot et Camille. Comme toujours chez Doillon, le sujet est consommé par la parole. Mais au sein de ces dégâts sentimentaux où la parole est reine, Doillon instaure une distance ironique inattendue, dans ses dialogues (citant Barbara Cartland au sujet de sa propre intrigue) et par certaines situations (la scène des petites culottes). Il filme aussi sa fille, Lou Doillon, dans le rôle de Camille, particulièrement affectueuse envers son père fictionnel, Paul. Malgré la virtuosité évidente de Doillon et des comédiens, l’exercice finit par lasser. On a l’ennuyeuse sensation d’assister aux jeux érotiques de riches châtelains jouant à cache-cache, barricadés dans leur citadelle. Trop (peu) d’amour est une curieuse mixtion, naviguant entre Théorème et Le Club des Cinq, le marivaudage et le roman rose, l’intérêt et la désaffection.
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