Nicolas Sarkozy a célébré le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc. Une figure que le Front national a faite sienne depuis des lustres mais que le chef de l’Etat, en campagne, ne souhaite pas lui laisser.
Dans un paysage vallonné, où la Meuse est sortie de son lit, sous un ciel gris et lourd, presque pesant, le cortège présidentiel, tel un serpent de plusieurs mètres, arrive à Vaucouleurs (Meuse). Depuis cette petite ville de 2 000 âmes, Nicolas Sarkozy – flanqué de quelques ministres, les régionaux de l’étape Nadine Morano et Gérard Longuet, Frédéric Mitterrand, qui lui collent aux basques pour être dans le champ des caméras – est venu célébrer le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc.
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Un 600ème anniversaire, ça se fête
Première fois depuis 1961 et la venue du général de Gaulle, qu’un chef de l’Etat en exercice fait le déplacement. La campagne est détrempée, gadouilleuse et pourtant verdoyante. Pour quelques instants, cette “ville du départ”, d’où Jeanne la Pucelle a lancé la petite armée qui la mena jusqu’à Orléans et au sacre de Charles VII à Reims, est traversée de quelques rayons de soleil. L’Elysée aurait voulu faire mieux qu’il n’aurait pas pu. L’image carte postale est parfaite pour cette ville symbole, qui n’a pas été choisie au hasard à cent six jours du premier tour de l’élection présidentielle, en ce qu’elle symbolise une reconquête dans l’histoire de France, en ce qu’elle est liée à Jeanne d’Arc, cette figure célébrée le lendemain même par le Front national à Paris.
Un déplacement de campagne qui rappelle celui du candidat UMP Sarkozy en janvier 2007 au Mont Saint- Michel – il avait gravi une à une les marches jusqu’au sommet, en col roulé noir, avant d’être immortalisé, seul, devant la baie baignée de brume. Cinq ans plus tard, à Vaucouleurs, quand Nicolas Sarkozy passe la porte de France, en pierre blanche, il se veut tout aussi solennel, veste bleu marine, regard sombre, grave, dense. Le pas est lent. Les deux images de campagne sont calquées l’une sur l’autre. Puis, patatras ! Il ne peut résister à un coucou main façon Miss France à destination des rédacteurs-photographes- cameramen postés à quelques dizaines de mètres de lui, bien rangés derrière une corde depuis une demi-heure par les organisateurs pour être bien sûrs qu’ils prendront la bonne image. Ils l’ont.
Nicolas Sarkozy n’a de cesse ensuite de regarder la presse, même quand un accompagnateur vient lui expliquer que le grand tilleul devant lui, classé monument historique en 1927, a vu ses feuilles dévorées par le cheval de Jeanne d’Arc lors de son départ en 1429 pour libérer Poitiers et “bouter les Anglais” hors du royaume de France… Ah, Jeanne la courageuse, elle n’avait que 17 ans… Nicolas Sarkozy fait mine d’écouter, les épaules alourdies par le poids de l’histoire. Il pose en fait pour les photographes, le regard fixé à leur intention, le sourire affiché pour les magazines sur papier glacé.
“T’as vu, lance l’un d’eux, il nous a regardés, il m’a fait un clin d’oeil. Et Nadine (Morano – ndlr), elle posait aussi. Parfait, il nous a bien donné!”
Quel bel album. Nicolas Sarkozy visite ensuite, en deux temps trois mouvements, la chapelle de cette ancienne place forte où Jeanne d’Arc s’était recueillie devant une statue de la Vierge et où chaque vitrail raconte une partie de son histoire, y compris celle des voix qu’elle a entendues. Nicolas Sarkozy aura-t-il eu le temps de les contempler ? On en doute… En quelques minutes, le cortège élyséen resurgit par la porte arrière pour traverser les rues du village et rejoindre la mairie où l’attendent quelques badauds bien rangés.
“Il faut y être pour des raisons symboliques mais il n’est pas nécessaire de s’y éterniser”, confesse Gérard Longuet, ministre de la Défense, à un membre de la délégation.
Un essaim de journalistes se trouve juste derrière… On a connu plus classe comme répartie. Un bain de foule est dûment organisé pour la petite troupe. Les gens appellent le chef de l’Etat non pas “M. le Président” mais “M. Sarkozy”. Trois minutes chrono : l’intéressé serre des mains, signe un autographe, sourit. Le tout dans le viseur des caméras. Tout ce petit monde ne serait donc là que pour les images ? Comme une heure plus tôt à vingt kilomètres de là, à Domrémy-la-Pucelle (Vosges), terre natale de Jeanne d’Arc où le chef de l’Etat visita sa maison d’enfance, accueilli dans ce village de 167 habitants au son de En passant par la Lorraine, jouée par la fanfare du coin – Nadine Morano battant la mesure du pied et entonnant à pleins poumons “… avec ses sabots”.
La jeune bergère aurait-elle apprécié un tel tintamarre pour la célébrer ? Le chef de l’Etat, accompagné de son conseiller Patrick Buisson, très à la droite de la droite, lance à quelques journalistes :
“Je vous vois venir. Si je n’étais pas venu, qu’est-ce qu’on aurait dit ? C’est un grand événement. C’est pas tous les jours.”
Là, remarquez, difficile de lui objecter quelque chose. Par définition, le 600e anniversaire, ce n’est pas tous les jours. Le déplacement se veut symbolique. Historique. En rien anecdotique pour “cette figure de la résistance”, comme la qualifie Patrick Buisson, “cette fille du peuple, qui fait partie du bien commun et qui en a remontré aux politiques et aux docteurs de la Sorbonne”. Le conseiller de Nicolas Sarkozy généralement si discret, mais qui a tant oeuvré auprès du chef de l’Etat pour un hommage à Jeanne d’Arc, accepte de répondre à la question des Inrocks, sous la statue de l’intéressée – c’est un hasard, on précise. C’est dire comme il fallait faire passer le message après les accusations de récupération portées par le FN :
“Le Président n’est pas là dans une démarche électoraliste. Election ou pas élection, il aurait été là.”
Puis le conseiller de rappeler que le chef de l’Etat a multiplié les déplacements historiques depuis son accession à l’Elysée, comme la visite de la cathédrale du Puy-en-Velay, en février 2011, ou ses déplacements au plateau des Glières dont le dernier en mai 2011. Miser sur l’héritage historique de la France, telle est bien la martingale du couple Sarkozy-Buisson ces derniers mois. “Le patrimoine historique est une dimension essentielle pour lui dans la prise en charge de sa fonction présidentielle”, soutient d’ailleurs Patrick Buisson à Vaucouleurs. Jeanne d’Arc devait donc en faire partie.
« Jeanne dépasse tous les partis »
Le 24 avril 2007, au lendemain du premier tour, Nicolas Sarkozy lui avait déjà rendu hommage. Il avait, comme à Vaucouleurs, utilisé cette même idée : “Jeanne dépasse tous les partis, nul ne peut la confisquer. Jeanne c’est la France (…) Comment avons-nous pu laisser Jeanne d’Arc confisquée par l’extrême-droite pendant si longtemps ?” Ce vendredi 6 janvier 2012, dans un gymnase éclairé au néon, devant plusieurs centaines d’invités poliment assis, et dans un discours d’une rare brièveté (moins d’une demi-heure et cinq pages aérées), nulle référence directe au FN. Juste en filigrane quand le chef de l’Etat lance :
“Jeanne n’appartient à aucun parti, à aucune faction, à aucun clan. Jeanne c’est la France dans ce qu’elle a de plus singulier.”
Le lendemain, de Paris, Jean-Marie Le Pen lui répond : “Elle n’appartient sûrement pas aux partis qui n’en parlent jamais ou qui n’en parlent que dans les périodes électorales.” La récupération de Jeanne d’Arc a décidément commencé par discours interposés. On se demande presque si Nicolas Sarkozy n’est pas en train de tracer un parallèle avec lui quand il lance, lyrique : “Jeanne avait donné le signal de la reconquête, ses anciens compagnons reprenaient les armes.”
Alors, pour évoquer l’histoire de “Jeanne”, comme il l’appelle, le chef de l’Etat déroule un texte qui fait penser à une biographie extraite du Lagarde et Michard, quand il en vient à rappeler, devant des habitants du coin, l’histoire de cette figure qu’ils connaissent déjà par coeur. “C’était il y a six siècles. Par cette froide journée de janvier 1412, alors que la Meuse était prise par les glaces, une humble famille de laboureurs fêtait la naissance d’un cinquième enfant ; une petite fille que ses parents ont baptisée du nom de Jeanne”, lance à la tribune Nicolas Sarkozy. Ou encore : “Charles VI était emprisonné dans sa folie. La lutte fratricide que se livraient les grands féodaux conduisait notre pays tout droit à la guerre civile. Depuis 1415, le roi d’Angleterre s’était proclamé roi de France et plus de 7 000 chevaliers français étaient tombés à Azincourt. Azincourt, un nom, un lieu, une bataille qui comptent dans la mémoire nationale.”
L’histoire de France, on ne la lui fait pas à Nicolas ! “Ce 600e anniversaire c’est l’occasion de rappeler cela, parce que cela compte dans notre mémoire nationale. Mais nous tous, nous portons ce destin commun”, professe-t-il encore à la tribune, sur un fond bleu azur. Pour le chef de l’Etat, ton grave presque théâtral, “nous sommes les héritiers de cette histoire. Nous ne pouvons pas l’ignorer. Et commémorer, c’est une certaine façon de remercier. Ne pas commémorer, c’est oublier et c’est, au fond, ne pas savoir dire merci à tous ceux qui ont fait que, aujourd’hui, la France peut être une grande nation qui compte dans le concert international”.
Une attaque ni vu ni connu contre son adversaire François Hollande qui n’a pas organisé d’événement pour “Jeanne”. Si on n’avait pas bien compris, Nicolas Sarkozy enfonce le clou : “La place de Jeanne d’Arc n’était donc pas dans la légende dorée, mais dans l’histoire de France.” Rideau. Jeanne est partie. Elle avait 19 ans. Nicolas Sarkozy aussi s’en est allé, après avoir serré quelques énièmes paluches. Lui en a 57. Nadine Morano, toujours serviable, se fait photographe pour les fans. Une groupie de Frédéric Mitterrand a tout juste le temps de mettre en route son iPhone que le cortège présidentiel a déjà filé.
Marion Mourgue
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