Nicolas Sarkozy est en campagne tout en retardant son entrée officielle dans la course. François Hollande est sur le terrain tout en évitant d’avancer à découvert. Mais la guerre de tranchées s’achève.
Souvenons-nous : 1983. Le tournant de la rigueur en France. Et sur les écrans, un film américain, Wargames, dans lequel un ordinateur testait toutes les combinaisons possibles d’une guerre thermonucléaire mondiale, avant de conclure à l’adresse de l’humanité : “Drôle de jeu. La seule façon de gagner, c’est de ne pas jouer…”
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Presque trente ans plus tard, à l’orée de la campagne présidentielle, ce non-jeu ressemble à la stratégie suivie jusqu’ici par les deux principaux candidats. Nicolas Sarkozy et François Hollande sont apparus soucieux de ne pas vitrifier d’entrée le champ de bataille. Mais les escarmouches se multiplient depuis quelques jours. On s’invective de tranchée à tranchée. Si le président sortant et le champion désigné de la gauche retardent leur affrontement, ils s’y préparent.
Equation impossible
Pour Nicolas Sarkozy, la campagne de 2012 a l’aspect d’une équation impossible. Comment convaincre en quatre mois qu’il est le président protecteur dont les Français ont besoin pour imaginer la sortie de crise ? Et ce alors qu’il est toujours frappé par une impopularité record ? Lors de ses voeux du 31 décembre, où aucun élément de dramatisation n’a manqué, jusqu’à l’impromptu des gyrophares et sirènes en arrière-plan sur les Champs-Elysées, le chef de l’Etat a esquissé son plan : aux Français qui ont “souffert” dans la “tempête” financière et économique, il a juré qu’il y avait “des raisons d’espérer”. Là où un François Mitterrand crépusculaire avait assuré, le 31 décembre 1994, croire aux “forces de l’esprit”, Nicolas Sarkozy a comme en écho fait part de sa “confiance dans les forces de la France”.
Quelques pistes ont été dévoilées : taxe sur les transactions financières, formation des chômeurs, TVA sociale… Rien de fracassant C’est en fait le Mitterrand de 1988 que Nicolas Sarkozy a en tête dans la préparation de la campagne présidentielle. Comme le vainqueur de Jacques Chirac, il compte sur une offensive éclair pour soumettre son adversaire. Une lettre aux Français, sur le modèle de celle de “Tonton” il y a vingt-quatre ans, et une déclaration de candidature fin février, peut-être même en mars. “Mars, le dieu de la guerre”, sourit un de ses fidèles.
“Nicolas sera président jusqu’à la dernière seconde”, ajoute-t-il en rappelant que François Mitterrand n’avait pas agi autrement, prenant de la hauteur avant d’entrer dans le combat.
On verra donc beaucoup le Président Sarkozy sur le terrain dans les semaines qui viennent. La période des voeux est faste. Mais le candidat Nicolas sera en embuscade. “Le Président va laisser Hollande s’épuiser, il va laisser l’UMP lui taper dessus, d’autant que la gauche ne le ménage pas non plus !”, précise un élu sarkozyste. Nourris d’éléments de langage sans grande finesse, mais conçus pour être martelés, les ténors de la majorité s’en vont répéter que François Hollande n’a pas la carrure d’un homme d’Etat, qu’il est indécis, flou, sans autorité, débranché du réel de la crise, piégé par ses alliances avec la gauche et les écologistes.
Des fuites savamment organisées sur des “confidences” du chef de l’Etat à des élus ou à des journalistes brossent aussi le portrait d’un adversaire insaisissable, réfugié dans une stratégie d’évitement. Un adversaire que Nicolas Sarkozy dit avoir hâte de combattre. “Il faut faire campagne ! D’ailleurs, je n’arrête pas !” François Hollande rejette les attaques de la droite, écarte les critiques et les doutes nés dans son propre camp après son reflux dans les sondages, au lendemain de la primaire socialiste. “Le plus dur, ce n’est pas la campagne, ce sont les commentaires sur la campagne”, ajoute-t-il. C’est pourtant Pierre Moscovici, qui la dirige, qui a parlé d’une “drôle de campagne”, comme on disait “la drôle de guerre” pour décrire l’étrange période entre la déclaration des hostilités entre la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne en 1939 et l’entrée des troupes du Reich en Belgique et aux Pays-Bas, en mai 1940.
« Mise en mouvement »
Manuel Valls, stratège en communication du candidat PS, explique même que François Hollande va désormais se mettre “en mouvement”. Comme une armée… Le député de Corrèze assure de son côté qu’il avait anticipé la période automnale de flottement, mise à profit pour constituer ses équipes et élaborer son programme.
“Tout projet présidentiel depuis 1981 est le projet du candidat, l’ordonnancement des mesures est modifié par la conjoncture. Là il faut expliquer aux Français pourquoi ce sera dur au début”, précise-t-il.
L’explication est prévue à la mi-janvier, en équilibre, trois mois après la primaire, trois mois avant le premier tour de la présidentielle. Dans l’entourage du candidat socialiste, certains avaient même préconisé au lendemain de la primaire “une stratégie à la Rajoy”. Le conservateur espagnol a gagné les législatives sans aucune prise de risque, il n’a eu qu’à attendre la victoire, grâce à l’impopularité non démentie du socialiste Zapatero.
“Je suis convaincu que celui qui donne son programme le premier est mort, toute idée est aussitôt menacée de caducité. Plus tard on sort du bois, mieux on est protégé. Il faut déminer les problèmes et attendre un référendum anti-Sarkozy. On est dans les tranchées, personne ne bouge. Pourquoi notre candidat bougerait-il puisqu’en face ça ne bouge pas ?”, théorise encore aujourd’hui un élu PS. François Hollande récuse cette tactique : “On pourrait jouer à cela s’il y avait bipolarisation. Rajoy ne promettait pas mieux que Zapatero mais il promettait que ce serait sans lui. Mais nous, nous avons Marine Le Pen, Bayrou…” C’est pourquoi il court déjà de ville en ville.
Dans les usines, où il conteste le bilan de Nicolas Sarkozy et promeut ses pactes productif, éducatif et redistributif. Auprès des services publics, des agriculteurs. Et François Hollande promet la bataille : “La victoire se mérite. Il n’est pas dans mon intention d’attendre simplement le rejet de Nicolas Sarkozy ou la peur de l’extrême droite. La campagne sera dure, âpre, mais tellement exaltante.” Des deux côtés, on sort des tranchées la fleur au fusil.
Hélène Fontanaud
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