Dans “La Grande Confusion”, le sociologue estime que le brouillage des repères politiques et l’érosion du clivage gauche/droite permet à l’extrême droite d’empoisonner de ses idées l’ensemble du champ politique.
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672 pages, une introduction aussi longue qu’un livre de poche, trois parties, des post-scriptum, des post-scriptum aux post-scriptum (!), une “ouverture”, un index et des notes de bas de page à n’en plus finir : le nouvel ouvrage de Philippe Corcuff s’avère aussi imposant que le sujet complexe qu’il entend explorer.
Dans La Grande Confusion, le maître de conférences en science politique à l’IEP de Lyon, déjà auteur chez le même éditeur de plusieurs essais sur la gauche (La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? en 2012, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard en 2014), propose une “théorie politique critique à indices empiriques engagée au sein de l’époque dans une perspective émancipatrice”.
Le “danger post-fasciste”
L’énoncé peut paraître ardu – il l’est –, mais le livre en tant que tel s’avère finalement clair dans son propos et la thèse qu’il développe : pour l’universitaire, “le moment actuel, tout particulièrement en France, se caractérise par un brouillage des repères politiques antérieurement stabilisés autour de l’opposition gauche/droite, générateur de brouillard idéologique”. Un “smog” et un “confusionnisme” délétères qui, selon l’auteur, profiteraient largement à l’extrême droite et à ce qu’il nomme le “danger post-fasciste”, le tout “au nom de combats par ailleurs précieux : la laïcité, le féminisme et l’anticapitalisme”.
Citant à l’envi Michel Foucault, Maurice Merleau-Ponty mais aussi de façon plus surprenante des chansons d’Alain Souchon et d’Eddy Mitchell pour développer sa réflexion, Philippe Corcuff soutient ainsi que “la gauche radicale organisée […] n’a pas souvent compris qu’elle devait aussi élaborer une alternative à l’ultraconservatisme, hésitant entre une folklorisation de l’antifascisme et une relativisation de la menace de l’extrême droite”.
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Complotisme, piège rhétorique du politiquement correct/politiquement incorrect, retour en force des notions de “nation” et de “frontières”, islamophobie, œillères sur l’antisémitisme… Pour le sociologue, qui appelle de ses vœux la fin des “polarisations manichéennes”, c’est l’ensemble du spectre politique français et plus globalement les débats publics qui ont été progressivement “empoisonnés” par ces “miasmes identitaristes ultraconservateurs et confusionnistes” émanant de l’extrême droite.
Une critique sévère de Jean-Luc Mélenchon
S’il condamne sans surprise le rôle d’Alain Soral, celui d’Eric Zemmour ou encore du Printemps républicain (qu’il classe à “l’extrême centre gauche”) dans l’édification du contexte idéologique actuel, celui qui s’est lui-même engagé dans quasiment toutes les formations de gauche avant de rallier la Fédération anarchiste en 2013 n’épargne pas sa propre famille politique, adressant des critiques à plusieurs de ses figures (Jean-Luc Mélenchon et sa stratégie “populiste” notamment).
Lesquelles, d’ailleurs, le lui rendent bien : l’association Acrimed, visée dans un chapitre de l’ouvrage consacré à une prétendue porosité entre la gauche radicale et l’extrême droite concernant la critique des médias, s’est fendue le 19 mars sur son site internet d’un billet, estimant que Philippe Corcuff versait lui-même dans les amalgames… alors même que son essai prétend les combattre. Pour sûr, La Grande Confusion va faire débat à gauche.
La Grande Confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (Textuel), 672 p., 26 €
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