Si tout film gagne à être taïwanais, selon un adage bien connu des Inrocks, tout film de cul gagnerait à être coréen. C’est la conclusion qui s’impose après les sorties, à moins d’un an d’intervalle de Lies (Fantasmes) de Jan Sun-woo et The Isle (L’Ile) de Ki-duk Kim. Ces deux films aux titres anglais anagrammatiques […]
Si tout film gagne à être taïwanais, selon un adage bien connu des Inrocks, tout film de cul gagnerait à être coréen. C’est la conclusion qui s’impose après les sorties, à moins d’un an d’intervalle de Lies (Fantasmes) de Jan Sun-woo et The Isle (L’Ile) de Ki-duk Kim. Ces deux films aux titres anglais anagrammatiques (Lies-Isle : en toute logique le prochain grand sex-film coréen devrait s’appeler Elise) partagent d’autres points communs. Ils proposent une lecture du sexe plutôt franche et concrète, pour ne pas dire brutale, et sont tous deux susceptibles de provoquer de grosses chaleurs auprès du public, tant masculin que féminin, pouvant aller jusqu’à l’évanouissement, la nausée, ou l’envie de manifester devant des salles de cinéma (uniquement si vous êtes catholique intégriste). Avant d’entrer dans la chair du sujet, il faut concéder que le film est traversé d’images particulièrement éprouvantes, même pour les spectateurs avertis, parmi lesquelles les pires ne concernent pas les bons et mauvais traitements que s’infligent les acteurs entre eux (simulés, on l’espère) mais les diverses tortures et mises à mort d’animaux en tout genre (cela va du ver de terre à la grenouille en passant par le chien et la perruche, sans oublier un malheureux poisson transformé en sashimi vivant) qui nous paraissent profondément discutables. Les fessées de Fantasmes étaient peut-être non-feintes, mais elles engageaient des acteurs consentants et impliqués dans le projet du film. Dans ses excès sadiques et malsain, The Isle est un film au-delà du bien et du mal, dans la représentation symbolique de la réalité, et proche du surréalisme (donc politique malgré et peut-être avant tout). Tandis que Lies transformait une relation sadomasochiste ordinaire en une drôle de dissertation socio-économique (le sexe = le travail moins la production, donc moins la rémunération). Les chambres à coucher étaient des enclaves de liberté au cœur de la société. L’Ile se place d’emblée hors de la société, dans un décor en vase clos qui théâtralise à outrance ses rites et ses vices (sexe qui se paie, loisirs qui se méritent, humiliations sociales). Une mystérieuse jeune femme, muette et très belle (interprétée par une comédienne non-professionnelle), s’occupe d’îlots de pêche au milieu d’un site naturel, sortes de petites cabanes flottantes sur lesquelles des salary men viennent le week end tremper leur ligne et leur nouille. Car la pêche, davantage qu’à la méditation, incite ici au sexe, le sport favori de l’homme, et des prostituées viennent visiter les types. La propriétaire de ce bordel flottant donne parfois de sa personne, mais aime également punir ses hôtes, hommes d’affaires et pères de famille qui se paient une bonne tranche de régression (l’un d’eux chie dans l’eau en téléphonant à sa fille). Une homme suicidaire qui vient d’assassiner sa femme et son amant se réfugie dans un des îlots dans l’intention de se tuer, mais une violente attirance charnelle naît entre lui et la fille. On assiste peu à peu à un brouillage de la ligne de flottaison entre la loi, le commerce et la pulsion, et à la naissance d’un couple uni par la souffrance (la scène binaire, déjà fameuse, des hameçons) et le plaisir. L’île et son personnage de femme-piège, prédatrice et animale, évoque bien sûr quelques grands films, japonais, sur le même sujet, Onibaba ou La Femme des sables, œuvres avec lesquelles il partage en outre un sens hypertrophié de l’esthétisme et du cadre. Chaque plan de L’Ile est magnifiquement composé, regorge de métaphores psychanalytiques. On a affaire à un film de plasticien et de théoricien, sans que ni le discours du film, ni ses recherches visuelles en fasse un objet poseur et lénifiant. L’Ile comporte plusieurs scènes dignes des meilleurs films d’horreur – la naïade vengeresse surgissant des flots, comme des plus noires comédies – les humains pêchés à la ligne. Eros et Thanatos ont bien sûr régulièrement inspiré les arts et le cinéma. La valeur excrémentielle de l’argent, on connaît ça depuis Sade. The Isle est pourtant passionnant par sa mise en scène, d’une façon à la fois épurée, littérale et grotesque, des mécanismes pulsionnels de sexe et de mort. Ici, on est particulièrement impressionné par l’univers amniotique créé par le cinéaste. Le sexe dans Lies était sec et cuisant, The Isle mouille à tous les plans, le décor contamine les corps, qui sécrètent plus que de raison. La dernière scène est à la fois la plus belle, la plus picturale et la plus attendue, conclusion logique d’un film parfaitement maîtrisé. L’homme disparaît dans le sexe de la femme, la vie et la mort, le végétal et l’organique se fondent. Une très belle histoire d’eau.
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