François Ozon commence par le plus difficile : filmer le calme plat, les riens qui font un couple, une somme d’habitudes acquises et d’attentions renouvelées. Jean et Marie vivent et travaillent à Paris, ils partent en vacances, dans une maison calme au milieu des pins. Ils sont fatigués, se parlent peu, s’aiment sans doute, seuls […]
François Ozon commence par le plus difficile : filmer le calme plat, les riens qui font un couple, une somme d’habitudes acquises et d’attentions renouvelées. Jean et Marie vivent et travaillent à Paris, ils partent en vacances, dans une maison calme au milieu des pins. Ils sont fatigués, se parlent peu, s’aiment sans doute, seuls ensemble, sans histoires et sans enfants. Et là, tout de suite, devant ce début si banal, ce presque rien, on se dit que Sous le sable sera un grand et beau film, parce qu’Ozon ne fait que regarder Charlotte Rampling et Bruno Cremer, avec justesse et retenue, leurs corps traversés par tant de films, tant de personnages, et leurs visages où la vie est passée. Eux non plus ne font presque rien, mais ils sont bel et bien là, magnifiques de présence.
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Le lendemain, ils vont à la plage. Et pendant que Marie s’endort, Jean disparaît, sans crier gare, entre deux plans, dans une collure. Son corps lourd s’évanouit dans la nature. D’abord étonnée, puis inquiète, puis affolée, Marie le cherche du regard et de la voix. Personne ne l’a vu, ni disparaître ni réapparaître ; personne ne le reverra jamais, sauf Marie.
Ce n’est pas un nouveau film qui commence mais le même qui continue, un « film de chambre » (pour reprendre l’expression de Bergman), qui chuchote son secret sans jamais le dévoiler tout à fait, qui murmure sa beauté au lieu de l’exhiber. S’il a parfois trop crié son talent d’auteur, dans des œuvres de jeunesse qui voulaient cogner si fort et si vite qu’elles manquaient souvent leur cible, Ozon devient cinéaste en adoptant une sérénité de filmage qui suggère beaucoup de choses, une infinité de possibles, sans jamais rien asséner.
Délesté de ses oripeaux postmodernes comme de son goût pour les dispositifs pervers, Ozon retrouve naturellement la plus grande figure de la modernité cinématographique : le couple, sa crise perpétuelle et sa dissolution annoncée, ses retrouvailles miraculeuses et ses rites domestiques.
Le film fait sa pelote de tous ses fils en les enchevêtrant avec une élégance et une maîtrise qui laissent admiratif. Rien ne manque, rien ne nous est artificiellement caché, mais le doute ne s’apaise jamais. Rien ne guérit, rien ne se boucle ni ne s’épuise, comme si le film se jouait de sa résolution pour s’échapper encore et toujours.
Ozon nous laisse nous débrouiller tout seul avec notre mémoire pas si vive de spectateurs pris dans les rets d’un film grand ouvert sur l’imaginaire, qui se voit autant qu’il se songe, ne s’achève que pour mieux se recommencer, se remplit à mesure qu’il se dévide. Sans faute, sans fin.
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