Elle a publié « Clèves » (P.O.L) ou l’initiation d’une ado aux garçons et au sexe.
“Editeurs et écrivains choisissent de publier un roman en septembre parce que tous espèrent un prix. Un prix, c’est du public et des traductions supplémentaires, c’est de l’argent, et dans le cas de certains jurys, c’est quand même le signe d’une reconnaissance de ses pairs. Quinze ans que je suis publiée, quinze ans que je suis sur les listes, quinze ans que je me passe de prix. Je suis “hors de prix”, ce qui est à la fois drôle, intrigant et agaçant. Sans prix, et pourtant toujours là, je finis par être un cas à part dans le paysage littéraire. Presque un cas social. Marguerite Duras a eu son prix (on croirait parler de chevaux ou de yaourts) à 70 ans.
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Quinze ans que je suis publiée, peut-être six ou sept romans parus pour la rentrée, quinze ans de guéguerre littéraire, protégée par le cuir épais que je décrivais dans Truismes (mon roman le plus autobiographique). J’ai appris qu’on pouvait férocement me détester, j’ai parfois été stupéfaite par les arguments ou la déraison des adversaires, j’ai accepté d’avoir des ennemis. Peut-être y a-t-il un contraste insupportable entre mon image de normalienne et les livres que j’écris. Je n’écris que sur la mort et le sexe, mais en public je ris de ce qui m’ennuie. J’ai l’air trop et pas assez sérieuse. Ajoutez à ça la psychanalyse, le désir que j’ai de travailler l’inconscient : assez, qu’elle disparaisse.
On m’a accusée deux fois de plagiat, on m’a taxée de pornographie, on s’est inquiété pour mes pauvres enfants, on m’a dite inculte ou on m’a reproché ma thèse. J’ai reçu des lettres anonymes pleines de poils pubiens, ou de papier toilette. Pour cette rentrée, une lettre m’a conseillé de me “faire mettre par un Arabe” (c’est un thème récurrent, chez les anonymes), une autre de rouler mon roman Clèves pour m’en faire un Tampax. Jean-Edern Hallier disait de Duras, toujours elle, qu’elle écrivait “de la littérature Tampax”. Je préfère être du côté des insultés que des insulteurs. Je crois aussi qu’une femme qui écrit, ça rend fou certains hommes et certaines femmes (beaucoup des lettres anonymes que je reçois accordent le je au féminin). Une femme qui écrit est une marginale, fondamentalement.
Je ne lis pas les articles qui paraissent sur mes livres. Les mauvais articles parce que je ne suis pas très masochiste, les bons articles parce que leurs raisons ne sont pas toujours les miennes. Mon éditeur me fait un résumé hebdomadaire. Je m’en tiens là, c’est une hygiène de vie. Josyane Savigneau, avec qui j’avais (comme avec tous les journalistes) des rapports ambivalents, m’a dit qu’en tant que critique, elle n’écrivait pas en direction de l’auteur, mais des lecteurs : ça m’a débouché une case du cerveau.
A l’apparition d’internet, j’ai moi aussi tapé mon nom sur les moteurs de recherche, j’ai “lapé ma flaque de pipi”, comme dit mon ami Yannick Haenel. “Darrieussecq, je la préfère mouillée” est un des élégants commentaires dont je me souviens. Et “elle aurait mieux fait de jeter son livre avec les couches de son fils” : c’était pour la sortie du Bébé, dans un journal cette fois, je ne sais plus lequel. Désormais je m’interdis totalement ces errances dans le ressentiment de l’autre.
Cette rentrée 2011 a coïncidé avec un grand changement dans ma vie. Ma vie n’est qu’écriture, mais elle ne s’y résume pas : elle est faite de doubles-fonds, de tores, de fosses marines. Ce grand changement nourrira sans doute un prochain roman, fait de mes propres ré-agencements moléculaires entre imaginaire et vécu. Ce tumulte privé a, en tout cas, relégué la sortie de Clèves dans un second plan à la fois salvateur et brumeux. Mais c’est toujours ainsi : l’écriture, c’est le moment qui compte ; pas la réception, soumise à des aléas qui ne dépendent plus de moi. L’intensité, elle est sur la page quand j’écris, elle est parfois dans la vie, elle n’est ni dans les journaux, ni dans les jurys.”
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