Venu d’Estonie, un tandem prolifique et incisif déploie un théâtre vivifiant où se mêlent performances audacieuses et partition scénique d’une précision confondante.
Ene-Liis Semper est plasticienne, Tiit Ojasoo a suivi une formation d’acteur et de mise en scène. Ensemble, ils créent des spectacles qui interrogent avec une vitalité radicale et un humour rompu aux vicissitudes du réel ce qu’il en est aujourd’hui des avantgardes artistiques, après leur récupération par le politique. Pas étonnant que le tout relève autant du théâtre et de la performance que de l’installation – voir cette scène fameuse où les acteurs vident le plateau de tous ses meubles et accessoires pour en faire une sculpture monumentale, emballée et ficelée avant d’être hissée vers les cintres pour laisser place à l’ultime séquence de N083.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est le dix-septième spectacle conçu par le tandem estonien depuis 2004 dans leur théâtre de Tallinn, N099, un bâtiment de l’époque soviétique qu’ils partagent avec le ministère de la Défense. L’idée, programmatique, d’avancer en pratiquant le compte à rebours, se réfère au philosophe estonien Hasso Krull, pour qui « l’histoire humaine devrait être vue comme à rebours ». « Ça va bien avec l’idée du théâtre », complète Tiit Ojasoo. Ce qui donne une idée du moral des troupes en mer Baltique, vingt ans après l’éclatement de l’Union soviétique.
Fil rouge du spectacle, la performance de Joseph Beuys réalisée en 1965 à Düsseldorf où, le visage enduit de miel et de poudre d’or, l’artiste allemand porte dans ses bras un lièvre mort et lui parle devant les oeuvres exposées dans la galerie d’Alfred Schmela. La figure de Beuys traverse ce spectacle peuplé de lapins à taille humaine participant aux improvisations d’une troupe de théâtre qui multiplie les actions physiques et les prises de becs – troupe régulièrement visitée par la ministre de la Culture et du Sport, « l’art préféré des Estoniens », précise Tiit Ojasoo, « avec la chorale ».
http://youtu.be/hfv2wOyWtQU
Allusion à leur ministre de la Culture, dont le patronyme signifie « lièvre » en estonien, qui débarque pour leur parler politique et subventions, les voir travailler ou participer, bravement, au championnat national de pisse, clou de ce N083. Des irruptions somme toute modérées face au montage serré de la partition scénique, aussi précise dans sa construction qu’elle semble foutraque dans sa réalisation.
Porter des planches entre ses dents pour les recracher, boire et s’embrasser en même temps en roulant sur le plateau ou s’extraire de la mêlée des dix interprètes agglutinés sur un divan sont autant de performances superbement théâtralisées. Issu d’improvisations menées avec une troupe permanente, N083 est un objet artistique à l’inventivité insolente présenté sous une forme scénique à l’humour corrosif. Bref, une sacrée performance, à voir séance tenante.
Fabienne Arvers
N083 (Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort) de et mise en scène Tiit Ojasoo et Ene-Liis Semper, du 4 au 10 novembre en estonien surtitré, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe,
{"type":"Banniere-Basse"}