Comment survit-on à la mort d’un homme aimé ? Réponses avec ces deuils de deux femmes fortes de la littérature US.
A la fin, elles survivent. L’écriture ? C’est une des sources d’étonnement quand on parcourt ces deux récits : romancières célèbres, ayant voué leur vie à la littérature, Oates et Didion n’invoquent à aucun moment le pouvoir guérisseur de celle-ci. Question de tact. Peur de paraître obscènes, en tentant d’obturer par les mots une blessure trop brutale, une perte trop irrémédiable.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le 30 décembre 2003, Joan Didion a perdu son mari, foudroyé par une crise cardiaque. Elle met en garde le lecteur : « Cela vous arrivera. C’est ce que je suis venue vous dire. » En février 2008, Joyce Carol Oates amène son époux grippé à l’hôpital : il y meurt d’une pneumonie aggravée d’une infection six jours plus tard. Paru dans sa version originale en 2007, le récit de la première nous parvient ici tronqué, en vue de son adaptation au théâtre (on pourra s’abstenir, ou pas, d’aller applaudir Fanny Ardant sur la scène de l’Atelier à Paris à partir du 2 novembre).
Soixante dix-huit pages de douleur sèche pour évoquer non seulement la mort d’un mari mais également l’hospitalisation d’une fille, annexée par une maladie étrange. Le sort qui s’acharne, « l’absence qui s’ensuit, le vide, la succession interminable de ces moments où nous serons confrontés au contraire même du sens, à l’absurdité ». D’où cette « pensée magique » que l’auteur invente, qui est une forme de déni : semer des cailloux pour laisser la possibilité au mort de revenir. « Une pensée conditionnelle » proche de la folie, dont Oates parle aussi à sa manière : « La Veuve est entrée dans une phase de pensée primitive, elle s’imagine que, face à la mort de son mari, un acte infime, insignifiant de sa part pourrait avoir un sens. »
Après le choc, Oates enregistre chaque phase du deuil durant les quatre premiers mois : processus de déréalisation tout en accomplissant le « protocole mortuaire » et ses mille « tâches absurdes » – stratégie de survie dans un « Sahara de temps illimité », l’idée du suicide en tête. Transparente, Oates confesse sans tricher, comme une décharge de larmes silencieuses. L’écriture qui peut consoler, sinon sauver, est chargée d’austérité, d’effets de non-style – trait déstabilisant chez l’auteur de Blonde et des Chutes, qui nous a habitués à ses longs textes chamarrés.
Mais « habiter un monde en chute libre, vidé de son sens », c’est montrer aussi à quel point la littérature fait ce qu’elle peut, c’est-à-dire presque rien. A moins que son usage soit celui d’un sobre pèlerinage : retour sur les lieux de l’amour, reviviscence d’une love story qui aura duré quarantesept ans. A la fin, la « Veuve » Oates a transformé ce drame personnel en une histoire universelle de la perte.
Emily Barnett
J’ai réussi à rester en vie de Joyce Carol Oates (Philippe Rey), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban, 480 pages, 24 €
L’Année de la pensée magique de Joan Didion (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christopher Thompson et Thierry Klifa, 78 pages, 18,90 €
{"type":"Banniere-Basse"}