« L’Augmentation » de Georges Perec, ou la traversée du couloir le plus long : celui qui sépare votre bureau de celui de votre chef de service…
C’est un marathon solitaire, un parcours d’endurance semé d’embûches qu’emprunte bon gré mal gré tout salarié déterminé à demander une augmentation. C’est aussi une épopée intérieure qui affûte ses arguments, rassemble ses doléances et fuit ses contradictions et ses peurs pour tenter de passer le cap : franchir le seuil du bureau de son chef de service. Soit il est là, soit il ne l’est pas.
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C’est sur cette hypothèse de départ et ses ramifications en chaîne que Georges Perec a construit sa pièce, L’Augmentation, pour six “personnages” ou plus précisément “des figures de rhétorique, des formes grammaticales. Des hommes-langages. De un à six. Ici, ils sont deux ; de A à B. L’homme et la femme comme à la Création. Sauf que ce n’est pas le paradis terrestre. L’affranchissement serpentaire, c’est l’augmentation de salaire”, résume Anne-Laure Liégeois, qui avait déjà mis en scène L’Augmentation en 1995 et remet aujourd’hui le travail à l’ouvrage avec deux comédiens, complices de longue date, Anne Girouard et Olivier Dutilloy. Des comiques, ce n’est rien de le dire, poussant haut et fort l’art de la dérision, le sens du grotesque et l’appétit du ridicule.
Comment appréhender aujourd’hui dans l’espace scénique l’écriture de Perec, ce précipité de théâtre où les entrées et les sorties des personnages résument à elles seules leurs parcours et constituent tous leurs déplacements, au point de devancer les mots, ou du moins de se plaquer à leur propos ? En concentrant l’action dans un seul lieu qui unit scène et salle : un couloir. Gris, avec des caméras de surveillance postées en avant-scène, des portes alignées de part et d’autre et, tout au fond, une photographie murale de paysage d’automne… Et en jetant d’abord les corps dans la bataille, comme dirait Pasolini, dans une séquence d’ouverture muette et gestuelle : sur des musiques de génériques de films, affublés de costumes gris, lunettes et perruques brunes, les deux collègues déboulent dans le couloir pour traverser ces portes, comme on traverse un mur, en se faisant mal…
C’est hilarant, une mise en bouche des paroles qui vont suivre, un générique de l’histoire à venir qui va nous détailler tout ça, à grand renfort de mots, d’hypothèses, de suppositions, supputations et autres élucubrations, retraçant les étapes atrocement similaires de tout demandeur d’augmentation…
Car il n’est question que de ça : tourner en rond dans le couloir, se préparer à entrer ou sortir, croiser ses collègues, remâcher ses échecs, vibrionner en cas de succès ou repartir à la charge. Considérer son impuissance ou envisager sa réussite. C’est l’entreprise qui veut ça, et c’est Perec qui nous démonte sa mécanique, simplement, pièce à pièce, mettant à nu ses subterfuges et sa perversité. Alors, on rit, bien sûr, de se voir si piteux en ce miroir. Le rire, la meilleure des catharsis. La preuve : L’Augmentation de Perec revue et augmentée par la mise en scène d’Anne-Laure Liégeois et le tempérament keatonien avéré d’Anne Girouard et Olivier Dutilloy.
Fabienne Arvers
L’Augmentation de Georges Perec, mise en scène Anne-Laure Liégeois. Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 6 novembre à 21h, précédé de Débrayage à 18h30.
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